Il arrive que la photographie ne reste pas à la surface des choses. Lorenzo Castore le prouve : son œuvre Ewa et Piotr devient moins un écrin (même si la qualité du livre l’induit) que l’érection d’une humanité qui n’a pas été considérée comme telle. Les deux « héros » sont l’opposé même de ce que désigne un tel mot. Ce sont des fous, victime de la mort qu’ils se sont donné ou qu’on leur a donnée.
Lorenzo Castore recrée leur parcours en images fulgurantes, dures et belles. Deux textes terminaux (un de l’artiste, l’autre de Wolciech Nowicki) les éclairent et soulignent ce travail de prise de vue et ce parcours de vie ou de non vie. Le grand format du livre permet d’entrer dans ce monde perdu, sans gloire mais non sans une superbe particulière.
Fasciné par l’enfer qu’il a découvert, Castore de l’a pas fui, il y est revenu non en voyeur mais pour comprendre le lieu et ceux qui s’y sont lovés. Depuis, Ewa — d’abord internée — est morte, Piotr est en désintoxication et la maison évacuée. Le photographe sait non seulement restituer mais rendre fascinant ces deux fantômes nés dans une famille aisée mais qui ont tout perdu. Il explore, montre mais n’explique pas. Il ouvre un abîme auquel ses images donnent un merveilleux et un tragique particuliers faits de crasse et d’élégance.
La beauté y perdure selon la logique baudelairienne : « le beau est toujours bizarre ».
jean-paul gavard-perret
Lorenzo Castore, Ewa & Piot, Les éditions Noir sur Blanc, 2018 — 45,00 €.