Elisabeth Sanxay Holding, Miasmes

« Est vrai ce qui réus­sit » (W. James)

Bien long­temps avant une Ruth Ren­dell ou une autres Patri­cia Highs­mith (pour ne citer que ces réfé­rences grand public), Eli­sa­beth San­xay Hol­ding défri­chait les codes du polar en y ins­til­lant angoisse et sus­pense, mais aussi une psy­cho­lo­gie détaillée. Tel est le cas du héros de ce Miasmes (paru en 1929),  Alexan­der Den­ni­son, jeune doc­teur désar­genté de son état qui s’installe à Shayne, près de de New-York dans les années 1920 dans le double espoir de voir croître et sa patien­tèle et ses reve­nus afin de deman­der en mariage  sa pro­mise, Eve­lyn alias Evie.
Las, les malades ne se bous­culent point au por­tillon de son cot­tage miteux et l’impétrant se déses­père au point de vou­loir aban­don­ner sa pro­fes­sion jusqu’au jour où  le doc­teur Lea­therby, qui habite sur place mais dans une demeure autre­ment fas­tueuse, lui offre de le secon­der dans son cabi­net fort fréquenté.

Débute une vie nou­velle, mâti­née de luxe et d’aisance, pour le pro­ta­go­niste qui, logé et nourri chez  Lea­therby, ren­contre  alors la jeune sœur de celui-ci, Mrs Rose Lewis, sa jolie secrétaire/infirmière Miss Hilda  Napier (laquelle le somme contre toute attente  de quit­ter ce poste !), le chauf­feur Ames ainsi que le major­dome Mil­ler. Puis l’énigmatique Folyet, le pré­dé­ces­seur de Den­ni­son qui entre­tient des rela­tions très ten­dues avec les membres de la mai­son­née… avant de dis­pa­raître sans lais­ser de traces.
Peu à peu, ces per­son­nages tout en dua­lité et ambi­guïté vont comme tis­ser une toile autour de  Den­ni­son, au fur et à mesure que la roman­cière dépeint à tra­vers ce huis clos feu­tré et select  une atmo­sphère des plus mal­saines sur le modèle du Rebecca trans­posé  à l’écran par Alfred Hit­chock. Le doute s’installe de fait dans l’esprit du lec­teur : le doc­teur Den­ni­son est-il aussi sain d’esprit qu‘il l’affirme ? Sa vision des choses est-elle objec­tive ou son ima­gi­na­tion ne lui joue-t-elle pas un tour pen­dable tout du long ? L’innocent même ne serait-il pas un cou­pable qui s’ignore ?

Le comble est atteint lorsque cer­tains patients de Lea­therby décèdent dans des condi­tions mys­té­rieuses. Avec une maes­tria  incon­tes­table, Eli­sa­beth San­xay Hol­ding qui joue avec habi­leté des petits riens pour les trans­for­mer en vastes points d’interrogation (elle va jusqu’à remette en cause la concep­tion tra­di­tion­nelle du mariage et du bon­heur en son temps, c’est vous dire) sape métho­di­que­ment l’espoir et la quié­tude des pre­mières pages du roman pour déli­vrer une ambiance hos­tile et délé­tère où cha­cun parait l’ennemi de cha­cun.
Un cadre mou­vant où les valeurs mêmes de jus­tice et d’éthique se trouvent bous­cu­lées et mises à mal par les « miasmes » plus ou moins fétides d’un cer­tain prag­ma­tisme. Et les nom­breuses illus­tra­tions inté­rieures de Leo­nid Koslov, au for­mat pleine page ou vignette,  ajoutent une dimen­sion inquié­tante à la spi­rale d’un texte qui  vaut déjà son pesant angoisse et de soup­çon ‚voyant petit à petit le pro­ta­go­niste en proie à la para­noïa che­mi­ner vaille que vaille afin de démê­ler le vrai du faux.

Légè­re­ment décen­tré par rap­port à la codi­fi­ca­tion du detec­tive novel, ce Miasmes nous incite ainsi à tour­ner les pages, non pour décou­vrir le meur­trier de rigueur mais s’enfoncer dans le deve­nir incer­tain des per­son­nages et voir com­ment ils vont s’extirper, ou pas, du marasme où ils sont englués.
Entre le who­du­nit ingé­nieux et le dyna­misme du hard­boi­led, un petit bijou de sus­pense psy­cho­lo­gique inédit que Baker Street met à notre dis­po­si­tion et qui per­met sans peine de mesu­rer, avec son ciselé pre­mier roman poli­cier (mais son neu­vième ouvrage), tout le talent de Madame Eli­sa­beth San­xay Holding.

fre­de­ric grolleau

Eli­sa­beth San­xay Hol­ding,  Miasmes (Miasma – 1929), tra­duc­tion Jes­sica Sta­bile, Edi­tions Baker Street.  15 mars 2018, 272 p. — 19,50 €.

 

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