Eric Fottorino, Dix-sept ans — Rentrée 2018

Le roman de la mère

« Si je n’avais pas eu ce doute sur mon iden­tité, je crois que je n’aurais jamais été écri­vain » déclare Eric Fot­to­rino qui, pour retrou­ver sa réa­lité, a pour­suivi des études de droit, deve­nir un jour­na­liste d’exception et un écri­vain plus qu’estimable au registre par­ti­cu­lier : « Je ne fais que réécrire mon état civil à tra­vers mes romans ». La plu­part en effet sont des écrits intimes que tra­duit bien la fic­tion ( puisque sa propre ori­gine en étant une).
Avec L’homme qui m’aimait tout bas et Ques­tions à mon père le tra­vail s’est encore res­serré sur la filia­tion (coin­cée entre deux pères) et la quête iden­ti­taire. L’auteur la pour­suit et la ter­mine en pas­sant des images pater­nelles à celles de la mère (pièce jusque là man­quante de son puzzle). Fot­to­rino la décrit ainsi :« Lina n’était jamais vrai­ment là. Tout se pas­sait dans son regard. J’en connais­sais les nuances, les reflets, les défaites. Une ombre pas­sait dans ses yeux, une ombre dure qui fanait son visage. Elle était là mais elle était loin. Je ne com­pre­nais pas ces sautes d’humeur, ces sautes d’amour.» Le roman­cier ramène à lui une femme dou­lou­reuse et bles­sée, reje­tée par les siens parce qu’elle vou­lut s’obstiner à vivre libre.

Celle qui fut aimée de Mau­rice Maman (géni­teur d’Eric) ne put l’épouser. Les parents de la jeune fille s’y oppo­sèrent fai­sant valoir le déter­mi­nisme cla­nique au libre arbitre des amou­reux. Ce fut donc un autre — Michel Fot­to­rino — qui épousa sa mère et lui trans­mis son nom de famille. Cet homme s’est sui­cidé en 2008 et l’auteur lui a rendu un bel hom­mage avec le beau L’homme qui m’aimait tout bas. A ce cri d’amour a suc­cédé celui envers Mau­rice et désor­mais à celle dont la vie fut sac­ca­gée.
L’auteur a donc recons­ti­tué l’histoire fami­liale trop long­temps cachée. Elle n’a rien d’exceptionnelle : il existe beau­coup d’histoires tout aussi com­pa­rables et secrètes. C’était presque une « loi » de l’époque où le monde était tatillon sur des règles aussi ata­viques qu’absurdes à y regar­der de près. Fot­to­rino exprime ce que sa mère, bou­le­ver­sante et bou­le­ver­sée par l’amour, dut tenir caché en fai­sant un poing dans sa poche pour conte­nir sa dou­leur avant de s’en absenter.

Le livre est plus épais que ceux sur ses « pères » car l’auteur doit remon­ter encore plus loin l’histoire fami­liale et ses ori­gines pour l’expliquer. Sans pudeur, ni impu­deur. Et avec la clarté et la dis­tance qui font la force des « fic­tions » fot­to­ri­niennes.
Les zones d’ombre du passé se découvrent dans ce qui clôt peut-être la suite des romans des ori­gines d’un auteur riche enfin d’ « un acte d’état civil qui ne soit pas falsifié ».

jean-paul gavard-perret

Eric Fot­to­rino, Dix-sept ans, Gal­li­mard, coll. Blanche, Paris, paru­tion le 18 août 2018.

1 Comment

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One Response to Eric Fottorino, Dix-sept ans — Rentrée 2018

  1. Guy SIMON

    Eric FOTTORINO avec 17 ans m’a bou­le­versé tant son his­toire est triste même s’il la raconte mer­veilleu­se­ment bien.
    J’aime son écri­ture.
    Bravo.

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