« Si je n’avais pas eu ce doute sur mon identité, je crois que je n’aurais jamais été écrivain » déclare Eric Fottorino qui, pour retrouver sa réalité, a poursuivi des études de droit, devenir un journaliste d’exception et un écrivain plus qu’estimable au registre particulier : « Je ne fais que réécrire mon état civil à travers mes romans ». La plupart en effet sont des écrits intimes que traduit bien la fiction ( puisque sa propre origine en étant une).
Avec L’homme qui m’aimait tout bas et Questions à mon père le travail s’est encore resserré sur la filiation (coincée entre deux pères) et la quête identitaire. L’auteur la poursuit et la termine en passant des images paternelles à celles de la mère (pièce jusque là manquante de son puzzle). Fottorino la décrit ainsi :« Lina n’était jamais vraiment là. Tout se passait dans son regard. J’en connaissais les nuances, les reflets, les défaites. Une ombre passait dans ses yeux, une ombre dure qui fanait son visage. Elle était là mais elle était loin. Je ne comprenais pas ces sautes d’humeur, ces sautes d’amour.» Le romancier ramène à lui une femme douloureuse et blessée, rejetée par les siens parce qu’elle voulut s’obstiner à vivre libre.
Celle qui fut aimée de Maurice Maman (géniteur d’Eric) ne put l’épouser. Les parents de la jeune fille s’y opposèrent faisant valoir le déterminisme clanique au libre arbitre des amoureux. Ce fut donc un autre — Michel Fottorino — qui épousa sa mère et lui transmis son nom de famille. Cet homme s’est suicidé en 2008 et l’auteur lui a rendu un bel hommage avec le beau L’homme qui m’aimait tout bas. A ce cri d’amour a succédé celui envers Maurice et désormais à celle dont la vie fut saccagée.
L’auteur a donc reconstitué l’histoire familiale trop longtemps cachée. Elle n’a rien d’exceptionnelle : il existe beaucoup d’histoires tout aussi comparables et secrètes. C’était presque une « loi » de l’époque où le monde était tatillon sur des règles aussi ataviques qu’absurdes à y regarder de près. Fottorino exprime ce que sa mère, bouleversante et bouleversée par l’amour, dut tenir caché en faisant un poing dans sa poche pour contenir sa douleur avant de s’en absenter.
Le livre est plus épais que ceux sur ses « pères » car l’auteur doit remonter encore plus loin l’histoire familiale et ses origines pour l’expliquer. Sans pudeur, ni impudeur. Et avec la clarté et la distance qui font la force des « fictions » fottoriniennes.
Les zones d’ombre du passé se découvrent dans ce qui clôt peut-être la suite des romans des origines d’un auteur riche enfin d’ « un acte d’état civil qui ne soit pas falsifié ».
jean-paul gavard-perret
Eric Fottorino, Dix-sept ans, Gallimard, coll. Blanche, Paris, parution le 18 août 2018.
Eric FOTTORINO avec 17 ans m’a bouleversé tant son histoire est triste même s’il la raconte merveilleusement bien.
J’aime son écriture.
Bravo.