Le premier roman de Pauline Delabroy-Allard est une réussite dans la manière de montrer comment seules les femmes survivent. Car le “S” de Sarah peut devenir le pluriel de toutes celles dont la vie brûle. L’héroïne entraîne la narratrice derrière elle. Il est vrai qu’elle dépote par son aura et sa beauté “inédite”. Elle possède “un nez abrupte d’oiseau rare (…) des yeux absinthe, malachite”. Entrée incidemment dans la vie de la narratrice, celle-ci en suit (et épouse) le parcours à la fois en toute subjectivité mais distance. Elle donne à éprouver des émotions que les auteurs mâles seraient peut-être incapables de traduire.
Le titre du livre est significatif de la narration qu’il induit. Là où tout compte fait le plus important va être de survivre affectivement au moment où la narratrice est encore en état de latence, fixée avant tout à l’état de jeune mère. Mais tout va changer et basculer. Le parti-pris d’une apparence sinon de neutralité, du moins de froideur, est suggéré par l’écriture sur corde raide. Elle oscille entre narration, réflexion et émotion. L’histoire pourrait être banale et de notre temps, or elle étonne comme si elle n’avait jamais été “entendue” .
A cela une raison majeure : l’art du portrait et de la narration — au sein même d’une forme de classicisme — perturbe notre regard et ses habitudes de reconnaissance lorsque le je du discours devient un “ça“‘. Il laisse place à un espace où tout se perd pour approcher une renaissance incisée de nouveaux contours. Un tel roman se lit donc comme une traversée. Et il n’est pas jusqu’à la “fausse évidence” du visage pour faire éclater les masques en divers types d’hybridations au moment où — c’est une possibilité — un serpent siffle dans les têtes.
Créatrice d’une telle histoire, Pauline Delabroy-Allard joue avec la notion de sa représentation. La stratégie du « ça » prouve que les auteurs ne doivent pas faire ce qu’ils sentent devoir accomplir mais faire ce qu’ils peuvent et l’assumer.
C’est pourquoi la narration suggère ici bien des possibilités. Aucune n’apporte de réponse définitive. Le sens de la fiction ne saurait donc être univoque. Il n’existe ni modèles, ni rôles là où le « ça » se poursuit. « Ça suit son cours » ajouterait Beckett en hommage à sa jeune consœur des éditions de la rue Bernard Palissy.
jean-paul gavard-perret
Pauline Delabroy-Allard, ça raconte Sarah, Editions de Minuit, Paris, 2018, 192 p. - 15,00 €. En librairie le 6 septembre 2018.
” ça ” c’est surtout Duras et ” Minuit ” sait le magnum qu’il induit . JPGP aussi.