Un joggeur découvre, au petit matin, dans le Kelvingrove, un parc de Glasgow, les corps de deux adolescents tués d’une balle à bout portant dans la tempe. Les deux corps sont allongés, les mains se touchant presque. Les policiers, vite sur place, voient arriver Maddy Shannon, la substitut principale du procureur. Elle n’est pas vêtue pour aller sur une telle scène de meurtre avec sa jupe et ses chaussures à talons aiguilles. De plus, ce n’est pas sa place, mais elle s’impose face à Alan Coulter, l’inspecteur principal de la Division A, qui connaît trop bien ses manières. À l’autopsie, le légiste décèle que les deux garçons ont eu la bouche tailladée avec force, une blessure en croix.
L’un des morts est vite identifié, mais cela n’ouvre pas de nouvelles pistes. Puis, une jeune fille est retrouvée dans un jardin avec les mêmes blessures, les mêmes mutilations. Les enquêteurs établissent un lien avec des assassinats similaires perpétrés à New York. Des contacts aboutissent à l’arrivé d’un détective américain. Maddy et son équipe, chargées de gérer tous les meurtres, tentatives de meurtres, les homicides volontaires que la ville de Glasgow a à offrir, vont se retrouver, involontairement ou non, mis en cause et devoir faire face à une criminalité exceptionnelle mais sans pitié…
Glasgow et Maddy Shannon se partagent la vedette dans ce roman qui sort de l’ordinaire du polar. Le romancier met en scène la ville et ses structures tant policières que juridiques, tant sociales que politiques. Et, pour faire vivre son intrigue, il imagine une héroïne à la personnalité hors du commun.
Maddy, âgée de 36 ans, est célibataire. C’est une fêtarde doublée cependant d’une bosseuse qui mène son service avec compétence, demandant le meilleur aux employés sous ses ordres. D’origine italo-irlandaise, elle possède des racines méditerranéennes par sa mère et est entourée d’une famille encombrante. De plus, elle adore sortir des limites de sa fonction et se mêler du travail des autres, en l’occurrence, ici, de celui de la Division A, sous les ordres directs du chef de la police de Glasgow.
Autour de cette héroïne, le romancier anime une galerie de personnages savoureux, tant dans le cadre professionnel où évolue Maddy que dans le cadre familial qui gravite autour d’elle. Chris Dolan décortique les différents courants qui fondent la métropole au passé industriel glorieux, l’influence des uns et des autres et les excès auxquels ils se livrent ou auxquels ils sont poussés.
C’est ainsi qu’il passe au crible les cités où gravitent les réseaux de type mafieux, les quartiers qui évoluent et voient changer leur population, les religieux qui veulent garder leur poids dans la société et cacher quelques vilenies, les organisations qui, sous des dehors caritatifs et compassionnels cachent des jusqu’au-boutistes fanatiques. Avec ces éléments, il nourrit une affaire complexe aux pistes multiples.
L’auteur porte, avec une bonne dose d’humour noir, un regard sans complaisance sur le cadre et sur les acteurs de son drame, épinglant, par exemple, les édiles : “Rien de tel qu’une triple tragédie pour que les politiciens, les serreurs de mains professionnels et les rois du meeting prennent leur pied en public.” Après son remarquable La Colonie (Métailié – 2016), Chris Dolan propose, avec Une femme infréquentable, un superbe roman qui met en scène une si piquante héroïne confrontée à une face particulièrement sombre de l’humanité.
serge perraud
Chris Dolan, Une femme infréquentable (Potter’s Field), traduit de l’anglais (Écosse) par David Fauquemberg, Éditions Métailié — Noir, coll. “Bibliothèque écossaise”, avril 2018, 352 p. – 21,00 €.