La couverture qui rassemble les héroïnes et héros de cette compilation de quatorze récits complets est due au talent d’André Juillard. Ces histoires ont été publiées en deux albums sous le titre Sales petits contes en 1997 et 1998.
Yann s’inspire des contes de fées, de titres célèbres, de proverbes, de références universelles pour les revisiter, les détourner et leur donner un angle d’interprétation à la fois ludique et impertinent. Ainsi le scénariste reprend un des contes pour enfant le plus cruel, Barbe-Bleue, à la manière d’un Quentin Tarantino, mettant dans Barbe blues la violence qui sourd de son film Reservoir Dogs.
André Juillard illustre La princesse aux concombres, une jeune fille bien éloignée de celle au petit pois qui cherche le prince idéal. Il transforme le vilain petit canard en phoque à l’époque où les people se préoccupaient du sort de ces bébés assassinés sur leur banquise. Il raconte Les petits chats se cachent pour mourir, anime Une Reine du X, Une porchère qui avait perdu son ombre, relate Le repos du samouraï.
Il a une manière bien particulière de Tirer l’âne par la queue, etc. Il inonde ses récits de multiples références tant littéraires que cinématographiques. Il puise dans l’actualité de l’époque pour un festival de clins d’yeux.
Cette réinterprétation donne une magnifique ouverture à ces classiques. Le choix des illustrateurs n’est pas dû au hasard. Chacun a mis en images ces scénarii selon sa conception de l’art graphique, un ensemble de planches se coulant en osmose avec l’esprit de l’histoire. Toutefois, pour en saisir toutes les subtilités, les allusions, il vaut mieux connaître l’actualité de la seconde moitié du XXe siècle.
Ainsi, dans La princesse au concombre, Yann décrit le prince Zaraï Enrico dont la sœur Rika rédige moult grimoires sur les êtres simples (Rain Man, Forrest Gump…) et leurs secrets. Elle amène ainsi son frère à prendre un bain de siège. Or, en 1980, la chanteuse Rika Zaraï fait paraître Ma médecine naturelle, un livre qui devient un best-seller où elle vante, entre autres, les vertus du bain de siège. Il fait intervenir Le Prince Éric, un scout héros de romans d’apprentissage, fort célèbre dans les années 1940, puis 1980. Il évoque Alligator Dundee dans L’inébranlable soldat criblé de plomb. Dans La sirène qui n’avait pas de queue, le yacht occupé par de jeunes éphèbes s’appelle le Chazot, etc.
Ce recueil, un festival d’humour, est le bienvenu. Il rappelle que ce n’est pas par hasard que Yann poursuit une carrière magistrale si riche en écriture.
serge perraud
Yann (scénario), Bodart, Boucq, Clarke, J.-C. Denis, Dupuy & Berberian, Gabrion, Hermann, Juillard, Michetz, Robin, Rossi, Wendling, Zep (dessin et couleur), Contes Saumâtres, Dupuis, coll. “Aire Libre”, juin 2018, 52 p. – 14,50 €.