Jerry Lee Lewis non sans une certaine tranquillité est resté le plus parfait des pionniers du rock. Gene Vincent et lui demeurent les plus proches d’une révolte instinctive : elle emporta le premier et fit suivre au second des sentiers pas forcément de la gloire mais quasi interdits – mais il se fichait comme d’une guigne de l’opprobre qui s’attacha à lui.
Sans ses écarts de conduite il aurait pu sans doute être Sudiste à la place du Sudiste : a savoir Presley. Comme lui il était capable de chanter tout le registre de l’Americana globale : blues, boogie, folk, bluegrass, country et bien sur et avant tout le rock and roll. Et lorsqu’il se frotte aux mêmes titres qu’Elvis il garde sur lui le privilège de ne jamais sacrifier à la bluette même s’il était capable – comme lui – de jouer les crooners.
Sa voix haute et grave, son phrasé par saccades et ajouts, son jeu de piano inimitable – fait de répétitions comme d’avalanches de notes en grappes – donne à ses interprétations un style facilement identifiable. Et le triple album de Frémeaux et Associés prouve qu’une telle musique n’a en rien vieilli. Tout ce que le chanteur reprend est revisité à sa façon pour à la fois s’en moquer et le prolonger, tout en le condensant par le transfert musical d’une éclatante frontalité de son jeu de piano et de sa voix.
L’auteur peut presque paraître un dilettante tant il ne se force pas. Tout paraît facile. Mais c’est ce qui donne à ses versions – originales ou non – leur charme et leur énergie. L’artiste a donc inventé un rock fascinant, entre douceur et violence. Existe une glorification du trivial par sa multiplication ironique. Et le jeu vorace de la seule pointe d’une note répétée donne un effet de pan à ce qui pourrait ne rester qu’une verticalité incisive.
Entre la voix et le piano – soutenus par une basse et une batterie et parfois quelques arpèges de guitare solo –, tout est parfait et dans son bain d’origine mouvant, lacunaire et bosselé d’inconnu. Il y a là une “ brutalité ” du marquage mais perdure le souffle d’une fraîcheur inespérée de l’envol d’un piano que le showman n’hésitait pas à piétiner.
jean-paul gavard-perret
The indispensable Jerry Lee Lewis — 1956 — 1962, Frémeaux et Asscciés, 2018.