Tout ce qu’il faut savoir sur l’amour quand on est une femme (ou un homme)
Fabienne Jacob sait ce que font les mots. Ce qui n’est pas forcément le cas de sa narratrice. Du moins pas tout de suite. Car il faut du temps. Surtout lorsqu’on vient d’être plaquée avec le sentiment de plonger dans l’abîme. Certes, il faut du temps nous dit-on alors. Cela est vrai même si à l’instant « t » le schlimblik n’avance pas d’un pouce pour la Pierrotte d’Amour.
Mais pour autant elle ne se complaît pas dans le marasme. Le tout est de tenir et surtout ne pas s’enfermer. Cette héroïne (miroir ?) possède l’intelligence de la curiosité et du mouvement. De nouveau, Fabienne Jacob entame une suite de flashbacks dont elle a le secret. Le tout au sein d’une enquête filée à la recherche d’un passé empiétant et par une manière juste et acérée pour écrire le réel.
Comme lorsqu’elle parle d’un « homme dans le rayon de supermarché ». De fait, il engage (avec des poulets arrivés nuitamment dans le même lieu) une remontée. Il est vrai que cette narratrice possède une complexion adéquate : son corps ne s’embarrasse pas de ce qui n’est pas vrai : « il évacue, il trie, il sait ». Enfin presque. Mais le moment voulu dans cette narration il se souvient de qui il fut (et de ses expériences) tout en s’accordant le droit de renaître et d’exister.
Le tout à l’exercice de la rue où « pour aborder des inconnues, les hommes font preuve d’imagination » et parfois osent tout en matière de harcèlements. Mais le livre n’est en rien un brûlot « me too ». La romancière fait la liste amusée des plus entreprenants des importuns comme des plus joyeux : maçons, couvreurs, plombiers, charpentiers — les garagistes font bande à part.
Dès lors pas à pas, au fil des évocations, la narratrice retrouve pieds sur l’asphalte. Tout est mené de manière vive au milieu des mateurs et amateurs. Devenue mûre, la narratrice aime fréquenter ceux mais aussi celles qui lui résistent comme l’ex-nonne. Elle ne peut se nommer défroquée mais lui rappelle que le corps tû entraîne à des amours qui se seraient nommées jadis « contre-nature ».
Peu à peu, la femme non « des » mais « dans » les rues s’engage à suivre des inconnus avec un sentiment océanique. Preuve que le quotidien recèle « des micro-miracles en pagaille pour peu qu’on veuille les voir » jusqu’à devenir fleuve (Amour ?). Il suffit parfois de claquer une porte pour retrouver l’élan. Ce mot restera la « leçon » de ce roman si parfaitement réussi et non achevé…
jean-paul gavard-perret
Fabienne Jacob, Un homme aborde une femme, Buchet-Chastel, Paris, 2018, 192 p. –15,00 €. Mise en vente le 23 aout 2018.