C’est une superbe promenade dans Rome que nous propose Edith de la Héronnière. Tous ceux, tombés à jamais amoureux de cette ville hors du commun, s’en délecteront. Ils y retrouveront, sous la belle plume de l’auteur, cette atmosphère si marquante qui fait de Rome une cité occidentale ouverte sur l’orient. Il faut avoir pris une automobile conduite par un Romain, circulé dans un bus chaotique, tenté de traverser une avenue le long du Tibre pour se rendre compte qu’on est loin d’Edimbourg. Mais plus encore, l’auteure parvient à nous envelopper de la douceur des matins d’été, avant que le soleil n’écrase tout, quand le corps encore préservé profite de ces derniers instants de paix avant d’être massacré par l’afa.
« Rome s’est construite sur ses propres ruines » écrit Edith de la Héronnière, décrivant par ses mots simples et délicieux l’accumulation des temps aperçue au détour d’une ruelle devant une colonne antique encastrée dans un mur médiéval, une fontaine intégrée à un palais baroque. Elle nous entraîne avec son enthousiasme dans la Rome sub-urbs où l’antique cité s’est réfugiée, sur la douce colline de l’Aventin, dans une multitude d’églises qui sont des écrins cachant un trésor artistique peu connu, et sur le Capitole d’où l’homme épris de beauté peut contempler le forum s’enfonçant dans la nuit, au moment précis où « la Rome antique semble se réveiller d’entre les morts et remonter des Enfers avec une élégance tragique. »
Pourquoi Edith de la Héronnière aime-t-elle Rome ? Pour mille raison sans doute. Et peut-être parce qu’elle aime la beauté, ce Beau qu’elle ne trouve plus dans la chapelle Sixtine et ses sinistres touristes ignorants, ni dans les messes laides qui défigurent la liturgie, ce dont elle se plaint juste après avoir critiqué les militants de la Manif pour tous, sans voir que la beauté liturgique s’est réfugiée précisément dans leurs églises… De la même façon qu’elle dénonce les papes et les cardinaux des temps de luxure, de cupidité, d’orgueil pour mieux exalter Saint Philippe Neri, sans vouloir admettre que ces prélats ont financé et construit la Rome qu’elle admire. Et que dire des clichés sur la méchante Curie, sur le pape Jean-Paul Ier « probablement empoisonné » pour s’être attaqué évidemment aux finances du Vatican et bien sûr sur le pape François que de vils intégristes veulent abattre…?
En fait, ces critiques ne défigurent pas le livre car elles appartiennent à un certain esprit romain qu’on aurait tort de croire uniquement papolâtre. Rome ne serait pas Rome sans les pasquinades, sans ce ressentiment pour le pouvoir pontifical omniprésent encore de nos jours et qui offre à la ville et au monde un spectacle prodigieux.
Alors n’hésitons pas à fuguer à Rome avec Edith de la Héronnière. On en reviendra encore plus amoureux de Rome.
frederic le moal
Edith de la Héronnière, Fugue romaine, Desclée de Brouwer, juin 2018, 174 p. — 17,00 €.