Fred Léal, Soupirs de bêtes en rut

Ecce Humus

Composé en six cha­pitres plus un post-scriptum, ce livre d’un genre hybride et dif­fi­ci­le­ment clas­sable est selon son auteur « un livre. Un livre de lec­teur. Un livre (presque) uni­que­ment com­posé de ready-made : textes & pho­tos défraî­chies gla­nés dans mes lieux de pré­di­lec­tion : pou­belles, mar­chés aux puces, allées déser­tées des biblio­thèques ou franges (non moins ter­reuses) du web, etc. ». Léal emprunte donc des élé­ments en déshé­rences et plus ou moins décep­tifs pour les revi­vi­fier en les décon­tex­tua­li­sant de leur lieu de dégra­da­tion pro­gram­mée.
Le texte (mais pas que lui, car il faut tenir compte des élé­ments adjoints et de son gra­phisme) court après lui-même. Existe une fuite mais elle repré­sente un recou­vre­ment. Si bien qu’à l’imposture pos­sible des docu­ments ori­gi­naux fait place une sorte de conduite for­cée. Le livre par effet de siphon trompe la mort ou l’expulse en tor­dant le cou à de vieux mots d’ordre qui reviennent comme par inad­ver­tance de nul ne sait quel coin d’enfance.

Léal joue ainsi le déra­ti­seur, l’exterminateur des sté­réo­types. Son livre « cabossé » qui fait la part belle au passé devient une recons­truc­tion mémo­rielle en un laby­rinthe de des­tins plus ou moins énig­ma­tiques. Et ce ne sont pas les pho­tos exhu­mées par l’auteur qui donnent plus d’indices. Au lec­teur de recons­ti­tuer dans ce caphar­naüm sa propre incer­ti­tude. Sans savoir si elle res­semble à celle des béliers qui, selon l’auteur, est « ter­mi­née en pointe ordi­nai­re­ment recour­bée ».
Il y a là bien des viandes à hacher et des fleurs à cueillir. Entre autres les scro­fu­la­ri­nées lapis lazuli.   C’est une des mille et une manières d’éviter à la fic­tion de deve­nir fleur bleue là où s’ébranle « toute une armée de sujets en déroute ». Il est vrai que la guerre est le sub­strat de cette « mons­tra­tion » ori­gi­nale. Contre elle, seuls les  Sou­pirs de bêtes en rut  témoignent d’une force vitale sans quoi la vie se réduit à ce peu qu’elle est. D’où ce ratis­sage de Léal. En amas­sant en com­post des restes, l’« Ecce humus » devient « Ecce homo ».

jean-paul gavard-perret

Fred Léal,  Sou­pirs de bêtes en rut, P.O.L Edi­teur, Paris, 2018, 156 p. — 17,00 €.

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