Composé en six chapitres plus un post-scriptum, ce livre d’un genre hybride et difficilement classable est selon son auteur « un livre. Un livre de lecteur. Un livre (presque) uniquement composé de ready-made : textes & photos défraîchies glanés dans mes lieux de prédilection : poubelles, marchés aux puces, allées désertées des bibliothèques ou franges (non moins terreuses) du web, etc. ». Léal emprunte donc des éléments en déshérences et plus ou moins déceptifs pour les revivifier en les décontextualisant de leur lieu de dégradation programmée.
Le texte (mais pas que lui, car il faut tenir compte des éléments adjoints et de son graphisme) court après lui-même. Existe une fuite mais elle représente un recouvrement. Si bien qu’à l’imposture possible des documents originaux fait place une sorte de conduite forcée. Le livre par effet de siphon trompe la mort ou l’expulse en tordant le cou à de vieux mots d’ordre qui reviennent comme par inadvertance de nul ne sait quel coin d’enfance.
Léal joue ainsi le dératiseur, l’exterminateur des stéréotypes. Son livre « cabossé » qui fait la part belle au passé devient une reconstruction mémorielle en un labyrinthe de destins plus ou moins énigmatiques. Et ce ne sont pas les photos exhumées par l’auteur qui donnent plus d’indices. Au lecteur de reconstituer dans ce capharnaüm sa propre incertitude. Sans savoir si elle ressemble à celle des béliers qui, selon l’auteur, est « terminée en pointe ordinairement recourbée ».
Il y a là bien des viandes à hacher et des fleurs à cueillir. Entre autres les scrofularinées lapis lazuli. C’est une des mille et une manières d’éviter à la fiction de devenir fleur bleue là où s’ébranle « toute une armée de sujets en déroute ». Il est vrai que la guerre est le substrat de cette « monstration » originale. Contre elle, seuls les Soupirs de bêtes en rut témoignent d’une force vitale sans quoi la vie se réduit à ce peu qu’elle est. D’où ce ratissage de Léal. En amassant en compost des restes, l’« Ecce humus » devient « Ecce homo ».
jean-paul gavard-perret
Fred Léal, Soupirs de bêtes en rut, P.O.L Editeur, Paris, 2018, 156 p. — 17,00 €.