Roger Caillois, Aveu du nocturne & Trois leçons des ténèbres

Tendre est la nuit ou tout doit disparaître

Le dis­cours sur l’ineffable resta chez Caillois aussi cen­tral que celui qu’il pro­posa sur la matière (les pierres entre autres). Face au ratio­na­lisme et ses caté­go­ries her­mé­neu­tiques, il mobi­lise une vision sinon noc­turne du moins proche de l’obscurité en rap­pe­lant que l’être humain semble pré­his­to­rique tant sa peur de la nuit demeure.  D’ailleurs,  toute l’histoire des arts et des lit­té­ra­tures en a fait un ter­ri­toire à explo­rer, un ter­ri­toire en per­pé­tuel cours d’exploration.
Chez Caillois, la clarté lin­guis­tique crée l’interaction entre l’intellectualisation et la sen­sa­tion la plus pro­fonde. En ce sens, elle trans­cende l’herméneutique, qui se révèle impuis­sante à sai­sir la matière du vivant. La contes­ter ne revient cepen­dant pas à s’en défaire mais à l’approfondir en pra­tique par l’expérience humaine la plus pri­mi­tive et sourde.

Renon­cer à la mys­ti­fi­ca­tion de l’interprétation trop savante implique néan­moins un cer­tain contrôle. Lut­ter contre ce que Spi­noza nomme « les absurdes éso­té­rismes » impose en effet un regard atten­tif sur le pré­tendu pou­voir inef­fable de la parole comme sur les opé­ra­tions cachées du « génie » lit­té­raire.
Certes, Caillois par­fois se laisse prendre à cette ten­dance mais sa capa­cité de retour au réel lui accorde une résis­tance à l’interprétation huma­niste dont il reste l’héritier rebelle — sa fré­quen­ta­tion du Sur­réa­lisme lui fut pro­fi­table sur ce plan. Il pro­pose en ce sens une vision plus sombre de l’essence humaine. Elle ne s’appréhende pas au nom de la rai­son sans pour autant affi­cher une cer­ti­tude en ce qui la déborde.

Son texte demeure une saine agres­sion contre l’absolue cohé­rence de la clarté du cogito dont l’arrivée de la nuit, en sa force cen­tri­fuge,  aura « rai­son ». Caillois reste ici à la jonc­tion de l’« archaïque » et du pré­sent gno­mique. Celui-ci est tout autant défini par son ave­nir que par son passé et par un acte d’évaluation com­pa­ra­tive entre le jour et la nuit.
Le cré­pus­cule devient l’aube d’une luci­dité entre absorp­tion et explo­ra­tion, ce sont ces forces qui motivent à la fois la résis­tance et la fas­ci­na­tion à l’égard de la nuit.

jean-paul gavard-perret

Roger Caillois,  Edi­tions Fata Mor­gana , Fon­tr­froide le Haut, 2018,

- Aveu du noc­turne, Texte éta­bli et pré­senté par Sté­phane Mas­son­net. Des­sins de Natha­lie Bour­dreux,  12 p. — 18,00 €.
Trois leçons des ténèbres, illus­tra­tions de Pierre Albuis­son, 56 p. - 11,00 €.

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