Celle qui est « très déclarée sans paroles » et « se » précise « nourricière souterraine de la lassitude du silence » prouve que si l’autisme est bien une maladie, elle trouve des mots pour se dire. Et pas n’importe lesquels. Babouillec (Hélène Nicola) l’illustre. Jamais scolarisée, elle a appris à écrire avec sa mère à l’aide de lettres en carton sur une feuille blanche.
Le résultat est parfait : après vingt ans de silence elle publie un livre d’une rare identité poétique qui offre un voyage identitaire où l’auteure recoud son rapport au monde, aux autres et à elle-même. Pierre Meunier et sa compagnie La Belle Meunière a créé une pièce (Forbidden du sporgersi) à partir de son livre à travers une scénographie faite de machines capables d’ « imager » ce chemin d’écriture et de vie.
Celle qui se dit « addict aux frites » a su trouver une forme quasi magique pour se dire et se dépasser. Aux inscriptions rupestres fait place un discours des plus articulés, aussi clair que complexe. S’y franchissent pas à pas bien des caps de la reprise identitaire.
Sous forme apparente de soliloque, le monologue se transforme en dialogue. Le moi empêché sort de sa bulle. Il s’organise non sans humour disant son fait aux « philosophistes » avec au passage un salut à « notre regretté pote presque autiste Antonin Artaud ».
Babouillec n’a pas eu besoin, comme lui, de glossolalies pour s’en sortir. Ce fut d’ailleurs pour Artaud le dernier signe de son enfermement. A l’inverse, l’auteure au cœur pirate ne s’est pas affranchie des codes élémentaires : elle s’en est fait sa « raison ». Par ce combat incessant elle a cassé le silence et a pu oser le parti pris de l’existence. Passionnant.
jean-paul gavard-perret
Babouillec, Algorithme éponyme et autres textes, Editions Rivages, 2018, 140 p. - 15,00 €.