Malgré sa position de magister dans l’Université comme chez Gallimard, Schifano est napolitain dans l’âme Et il garde de « sa » ville le charme des garnements des « veicoli » et « bassi » et des princes de palais délabrés. Pas étonnant de le retrouver au chevet d’un scientifique baroque, ivrogne, don juan, petit fils de Bakounine, qui osa affronter parodiquement le pouvoir fasciste lors de l’entrevue Hitler-Mussolini à Naples en 1938.
En ce fameux 5 mai 1938, il fallait donc un homme d’exception pour mettre à mal la rencontre des deux fascismes et ce, par une sorte de coup de force et de farce. Le coq de Renato défila donc le jour dit, en laisse, afin de braver un interdit fasciste empêchant toute représentation d’animaux domestiques sur la voie publique. Le professeur déambula ainsi au su et vu et au grand plaisir de tout le monde pour ridiculiser « il potere » et ses prétentions militaires. Le coq et son maître toisèrent les empereurs bruns et noirs en plongeant leurs mises en scène dans ce qui tient de la commedia dell’arte et des grandes comédies italiennes. Manière de créer la fête dans la fête, la jouissance au cœur de l’empois de deux pères sévères et concurrents en falbala.
A partir de cet évènement qui se voulait fondateur, Schifano met lui aussi met le feu aux poudres. Il fourrage dans l’évènement et l’extrapole en une écriture foisonnante et baroque enrichie de mythes généraux ou de pure essence napolitaine. Se retrouve tout ce qui faisait Naples et ses grouillements, leurs mélanges de sacré et de profane, de romantisme et de violence. La grande et la petite histoire se mixent là où une fois de plus Naples reste une cité ouverte et fermée, secrète et indomptable, peu encline à la tête politique et optant plus facilement pour la camorra que pour tous les vains partis.
Schifano n’agit pas en reporter, il devient lui-même badaud ailé pour donner une tranche napolitaine d’inconduite à l’aune des citadins du sud. Lucides, ils ne se révoltent contre les pouvoir qu’avec le rire et les « lazzi de Pulcinella ». Le coq et son maître trouvent donc dans ce livre une résurrection. Les deux sont élevés au rang de symbole aussi candide qu’absolu. Contrairement au coq français, celui-ci ne trône pas dans la merde mais sur l’asphalte. Mais seul un être libre comme Renato, dénué de tout égo, égoïsme, ambition et n’attendant rien de rien, montre au peuple se propre bêtise et au pouvoir sa vacuité confite en des vénérations vernaculaires. Son coq s’élève de manière la plus altière face à la barbarie et aux puissances rapaces pour en picorer la mort en marche, en pompes et circonstances pas forcément idoines.
jean-paul gavard-perret
Jean-Noeel Schifano, Le Coq de Renato Caccioppoli, Editions Gallimard, coll. Blanche, 2018, 104 p. — 10,00 €.