Honorer le mythe au milieu de ses troubles et de ses dérives
Le film de Terry Gilliam est superbement bancal, non seulement pas sa structure de film dans le film (c’est déjà à ce seul titre un plaisir) mais par les avatars temporels qui ont entravé sa réalisation. Néanmoins et d’une certaine façon, tous ces hasards de circonstances étaient en germe dans le « Don Quichotte » de Cervantès…
Aux mises en abyme de la fiction de la Mancha, Terry Gilliam répond par un jeu de surcharges qui peuvent agacer ceux qui n’éprouveront que peu d’empathie pour un film qui tient pourtant d’un chef-d’œuvre comique. Le film ne cherche pas le charme et la subtilité sauf peut-être celui qui est le plus essentiel : la présence d’un film qui n’existe pas. A savoir, le premier travail d’étudiant d’un apprenti cinéaste qui va devenir un faiseur égocentrique de films publicitaires.
Refusant le côté hiératique qui constitue une part de l’œuvre de Cervantès, Gilliam réinterprète ce premier « road-movie » littéraire — sorte de creuset à la fois du roman moderne et de sa critique. Il propose un processus identique avec cette réinterprétation du livre. Elle est bien plus surévaluée que sous-évaluée – position à son égard dont beaucoup de critiques ne sont pas privés.
Cette oeuvre qui a souffert de bien des épreuves fait écho à celles qu’endure de gré plus que de force le héros générique. Et pour son « Don Quichotte », l’auteur des Monty Python semble avoir absorbé tout qu’il a réalisé pour le meilleur et parfois pour le pire. Certes, il est compréhensible que certains spectateurs puissent demeurer circonspects face à une telle œuvre. Elle reste néanmoins d’une originalité rare et ne trahit pas Cervantès. Elle le traduit selon un point de vue décalé, intelligent, bringuebalant et drôle, conforme à l’esprit du livre que l’auteur n’a jamais cherché à simplement « copier ».
Existent des masques de théâtre et de fiction qui peuvent effrayer moins les âmes faibles que les spectateurs un peu coincés. Ceux qui refusent d’accepter de sauter avec Gilliam dans un voyage à plusieurs entrées, là où la réalité rentre dans la fiction et la fiction dans la réalité Existe aussi un réel plaisir de cinéma qui soudain n’adhère pas totalement à ses règles.
Plutôt que le vide qui entourait Don Quichotte et Sancho dans un film célèbre tirée de la fiction, le réalisateur britannique présente à l’inverse un falbala de formes et de forces dans un jaillissement volontairement hasardeux de semences de simulacres et de points de suspension. Ils évitent toutes redondances en dépit de certaines répétitions qui retardent des effets trop imminents. Et c’est là une manière moins d’éviter de statufier un mythe que de l’honorer au milieu de ses troubles et de ses dérives.
jean-paul gavard-perert
Date de sortie 19 mai 2018 (2h 12min)
De Terry Gilliam
Avec Jonathan Pryce, Adam Driver, Olga Kurylenko plus
Genres Aventure, Fantastique, Drame