En toute simplicité (mais Cosette n’est pas ici)
Lire Catherine Millet est toujours un plaisir. Au lieu de trépasser en s’ennuyant dans l’écriture compassée et suffisante (donc insuffisante) des Mémoires de Simone de Beauvoir saluée presque unanimement – bien qu’on puisse se demander pourquoi – comme des must incontournables, il est à la fois plus économique (10 euros au lieu de 140) et surtout plus impertinent de partager les cinq interviews (dont un inédit) de la directrice d’Art Press.
L’auteure pratique une écriture avec une perspective bien différente de la grande sartreuse. Chaque fois qu’elle écrit (La vie sexuelle de Catherine M compris), elle garde un but précis : « j’écris avec l’arrière-pensée que je m’adresse directement au lecteur et que je lui dis : voilà comment ça c’est passé pour moi. Et pour vous c’était comment ? ». C’est là l’essentiel d’une esthétique de la demande cent fois plus efficiente que celle des réponses et leçons des Simonades de de Beauvoir.
Beaucoup ont tenté de ridiculiser Catherine Millet en la traitant de papesse de l’art contemporain. Elle a splendidement résisté. Et de manière la plus instinctive et intelligente qui soit. Les chiens ont aboyés : sa caravane est passée. Elle poursuit son chemin, les chiens se sont fatigués. L’auteure sait en effet d’où elle vient et n’a jamais renié son passé même si elle a su le lâcher pour faire fructifier le présent. Le sien comme celui de l’art. Et son apport reste considérable.
Elle a défendu en près de cinquante ans de carrière de nombreux courants français, européens, américains et de nombreux artistes et écrivains (Bernard Dufour, Bertrand Lavier, Michel Houellebecq entre autres). Et toujours avec un avantage certain pour le lecteur : elle ne décide pas pour lui, n’impose rien mais propose. C’est là un rare et superbe exercice de politesse et de discrétion.
Catherine Millet refuse toute technique d’hypnose, néglige à dessein d’imposer une violence fascinatrice qui aboutirait à l’obéissance d’un lecteur-victime. C’est pourquoi lire de tels entretiens est un plaisir. L’auteure refuse l’hostilité stérile et propose des exercices d’admiration et d’aveu pleins de pudeur et d’ironie. Elle nous entraîne à sa suite en multipliant les descriptions et les évocations sans forcer l’accès au « corps » de l’autre pour en faire son propre domus.
Un tel livre est donc un exercice de liberté offert à la lectrice et au lecteur.
jean-paul gavard-perret
Catherine Millet, Catherine Millet, Art Press, ‚ coll. « Les grands entretiens d’Artpress », Paris, 2018, 88 p. — 10,00 €.
JPGP , JPGP ! Il n’a rien à envier à Catherine Millet . Ce sont deux fins limiers des exercices de liberté .