Après Cartonne 14 où il partait à la recherche des véritables responsables de la Grande Guerre, Gordon Zola propose, dans la série de ses romans historiques, de visiter la face sombre de la Libération, l’épuration, avec l’affaire Denoël.
Robert Denoël, directeur des Éditions Denoël et Steele, est abattu, dans la soirée du 2 décembre 1945, d’une balle dans le dos, au coin de la rue de Grenelle et du boulevard des Invalides. L’enquête sur la mort de l’éditeur de Louis-Ferdinand Céline est bâclée. La police conclut à un crime de rôdeur alors que l’éditeur changeait une roue pendant que sa maîtresse, Jeanne Loviton, cherchait un commissariat pour appeler un taxi. Quelques jours plus tard, ses affaires personnelles disparaissent, les éditions deviennent la propriété de sa maîtresse. Sa femme et son fils ne sont plus ses héritiers et une nouvelle enquête aboutit à un non-lieu. Cinq après, quand la justice déboute Cécile Denoël, Jeanne Loviton vend l’intégralité des Editions à Gaston Gallimard. Depuis, un flou conséquent subsiste quant aux causes réelles de l’assassinat de Denoël. Entre crime crapuleux, captation d’héritage, vengeance, règlement de compte… les hypothèses ne manquent pas.
Gordon Zola s’appuie pour sa fiction-réalité, sur le travail d’Henri Thyssens et sur les conclusions de la seule enquête, la troisième, digne de ce nom menée en 1950 mais qui ne donnera rien en matière de justice. Il met en scène un nouveau Bonplaisir, Lucien, avocat spécialité dans les affaires d’édition. Avec lui, il revient sur l’époque, sur l’atmosphère qui régnait, sur les excès, toutes les tentatives de se blanchir, de prouver que la proximité affichée avec l’Occupant n’était que masque pour mieux l’espionner. Après Quarante millions de pétainistes (titre emprunté au second volume de la formidable saga de Robert Amouroux La Grande Histoire des Français sous l’occupation), c’est “quarante millions de résistants” !
Gordon Zola présente le monde de l’édition, les principaux acteurs de cette période, ceux qui sont accusés de collaboration comme Céline, Radiguet…, ceux qui épurent, qui dénoncent, qui tondent ou qui le font faire plutôt !
L’humour est bien sûr la matière première de cette intrigue, un humour noir avec cette association SOS femmes tondues, avec la ronde du sexe, avec les apartés sur différents personnages de la vie parisienne et les éléments d’enquête pour arriver à une conclusion qui a le mérite d’être cohérente à la lumière des événements postérieurs.
Le Père Denoël est-il une ordure ?, un roman qui, sous le rire, dévoile une nouvelle fois la face noire de l’humanité et porte à la réflexion.
serge perraud
Gordon Zola, Le Père Denoël est-il une ordure ?, Les Éditions du Léopard Masqué, coll. “Les historicos-burlesques”, mars 2018, 208 p. – 18,00 €.