La découverte du sexe comme une soupape face à l’austérité
Des notes semblent s’échapper d’une boîte à musique. Dans une grande pièce sombre, une jeune fille en sous-vêtements blancs s’éveille ; elle reçoit au matin de ses 14 ans une robe de sa mère qui s’empresse de l’habiller. La petite exprime par de grands gestes sa déception à l’égard de l’excessive longueur de sa nouvelle robe sur ses jambes, allusion brutale à son passage prochain dans le monde des adultes, sans que de ses mystères elle n’ait été instruite. Quand la jouvencelle rejoint ses amis, autorisée à porter encore ses habits de petite fille, leurs échanges sont volontiers futiles, entre badinages et questions scolaires.
Pourtant, les dialogues sur l’émergence de la sexualité chez les adolescents prennent assez vite un tour métaphysique. Les scènes d’exposition se succèdent, dans un déploiement désordonné de verbes qui en viendront peut-être à se structurer en traits d’esprit. Un beau décor fait de grands pansde poteaux mobiles s’agencent différemment au cours des scènes successives pour donner plus ou moins de fermeture au plateau et enserrer le propos et l’histoire qui cherche à se raconter.
Parler encore et encore de ce qui les travaille, les allume, les inquiète, les excite jusqu’à l’obsession. Un événement dramatique vient favorablement dynamiser l’enchaînement des échanges entre les adolescents et leurs parents et éducateurs. La découverte du sexe se manifeste comme une soupape face à l’austérité, une confrontation à la violence.
Les comédiens sont vifs, engagés dans une interaction dynamique, cependant que leur jeu conserve un relent d’académisme qui ne donne pas suffisamment de relief et de contraste au texte. Sans doute la figure de « l’homme masqué », qui pourrait avoir quelque chose à voir avec celle de Nietzsche, aurait gagnée à être davantage mise en valeur : on n’en sent pas planer avantageusement l’éclat sur la pièce.
Une mise en scène appliquée, honorable mais sans assez d’élan ; les choix de scénographie se montrent pertinents mais ne parviennent pas à manifester toute la vitalité transgressive qu’a cherché à exprimer Wedekind. On ne couvrira donc ni de louanges, ni d’opprobre la lecture qui nous est présentée : honorable, esthétique, équilibrée, mais sans doute trop pondérée et insuffisamment inspirée.
christophe giolito et manon pouliot
L’Eveil du printemps
de Frank Wedekind
Mise en scène Clément Hervieu-Léger
Avec Matthieu Astre, Serge Bagdassarian, Cécile Brune, Clotilde de Bayser, Jean Chevalier, Pauline Clément, Juliette Damy, Michel Favory, Julien Frison, Éric Génovèse, Christian Gonon, Robin Goupil, Gaël Kamilindi, Alain Lenglet, Nicolas Lormeau, Rebecca Marder, Christophe Montenez, Sébastien Pouderoux, Aude Rouanet, Bakary Sangaré, Georgia Scalliet, Alexandre Schorderet, Julie Sicard.
Traduction François Regnault (Gallimard, 1983) ; scénographie Richard Peduzzi ; costumes Caroline de Vivaise ; lumière Bertrand Couderc ; musique originale Pascal Sangla ; son Jean-Luc Ristord ; maquillages et coiffures David Carvalho Nunes ; collaboration artistique Frédérique Plain ; assistanat à la scénographie Laure Montagné.
A la Comédie Française, Salle Richelieu, Place Colette, 75001 Paris.
Du 14 avril au 8 juillet 2018, en alternance, matinées 14h soirées 20h30, durée 2h50 (sans entracte).
Réservations 11-18h, 01 44 58 15 15 ou https://billetterie.comedie-francaise.fr/node/46746