Inutile de réveiller le Booz de Hugo lorsqu’il se déguise en Matzneff. Car le bougre — quoique déclinant — ne dort jamais. Certes, il subit certaines avanies dues à l’âge : mais il suffit qu’à 79 ans une jeune étudiante croise sa route pour que ce qui le poussait fatalement vers la fin lui accorde un sacré sursis. A partir de cette rencontre de 2016, l’écrivain se donne encore cinq ans de plein régime — sans pour autant se prétendre l’amant sémillant qu’il fut jadis ou naguère et souvent en parallèle…
Mais l’auteur n’est jamais de ceux qui restent à côté des photocopieuses ou des machines à café. Plus Italien qu’il ne le fut, prince qui sait rire et à la tour jamais abolie, se voue aux temples de la chair sans se limiter à leurs contemplation. Il ne cède en rien sur ses désirs. Chez lui, quelle qu’en soit la nature, elle reste bonne. Et tant que la sienne ne rebute pas sa jeunette, il lui en fera profiter en lui offrant après l’amour des brins de causette puis des bacchanales chez Lipp ou autres restaurants de même qualité.
Celui qui a lu (et lit encore) Byron, Sénèque et bien sûr Casanova n’a rien à leur envier. Il a la vie plus dure (entendons longue) qu’eux. Mais bien douce pour autant. Chez Matzneff, c’est une éthique hédoniste, une esthétique de l’existence. Elles sont bien sûr déraisonnables, voire irraisonnées. Mais, arrivant à son âge, de tels mots ne veulent pas dire grand chose. Plus que jamais l’auteur saisit tout ce qui reste, d’autant que — et plus que jamais — le temps presse. Mais nulle question d’en faire une choucroute : une jeune poularde excite plus sa fantaisie.
jean-paul gavard-perret
Gabriel Matzneff, La jeune Moabite, Journal 2013–2016, Gallimard, Paris, 2018.