Philippe Mugnier est né à Thonon-les-Bains et a passé toute son enfance aux Gets. Il reste attaché au Léman et à ses racines. Comme un autre natif du même lieu (Valère Novarina), il les explore mais selon d’autres voies. L’histoire qu’il remonte est à la fois désopilante et ouverte comme si l’auteur récurait ses propres écuries d’Augias. Ce récit « généalogique » permet à l’auteur d’explorer une branche inconnue et farcesque des « Mugnier des Gets » et au-delà de l’auteur l’Histoire du Chablais et du Faucigny depuis leurs origines burgondes jusqu’à nous.
Le voyage ne manque pas de sauts et de gambades : la région était de passage. Et avant que le Royaume de France se déshonore pour se construire d’un des grands massacres de l’histoire religieuse (la Saint-Barthélemy), un abbé dévoyé et issu de l’une des plus illustres lignées nobiliaires de Suisse vient marier sa fille bâtarde à Pierre Mugnier, petit notable savoyard du col des Gets en Faucigny, en proie aux assauts de calvinistes bernois.
Ce village de montagne est selon certains peuplé depuis le XIVe siècle de Juifs chassés de Toscane. Pour d’autres, ce village est à l’inverse un repère de Sarrasins. Mais au nom de cet hymen, la modeste famille paysanne devient le fer de lance de la reconquête catholique du Chablais. Dès lors et en lien avec la Maison de Savoie et le futur Saint François de Sales, les « Mugnier des Gets » ne sont plus les cocus de l’histoire.
Ils connaissent une ascension sociale, quittent le paysannat pour le notariat ou l’église et sont à l’origine du développement de cette région en se retrouvant à la tête d’institutions religieuses. Mais la Révolution les efface de l’histoire. Perdurent néanmoins de vagues cousins restés d’humbles montagnards avant qu’une autre révolution (pacifique celle-ci puisque de l’ “or blanc”) les sortent des alpages et les fassent acteurs d’une des grandes stations de ski de Haute Savoie.
A travers le cas précis d’une saga familiale se dessine l’histoire des pays de Savoie. Cette région d’émigration (le pays à Paris se fit sa réputation avec ses ramoneurs puis les grouillots de la maison d’enchères Drouot) se transforme et s’enrichit sous l’effet de la proximité de la Suisse, de l’électricité et surtout du tourisme. On y vient, on y revient.
Et l’auteur — sans emphase mais avec humour et précision — crée une histoire polymorphe qui traduit un amour d’une terre. Il le fait partager et prouve que les rudes paysans à la Ramuz sont bien moins mauvais coucheurs et fermés qu’on ne le croit. Philippe Mugnier crée ainsi une intertextualité des montagnes de la manière la plus alerte qui soit et s’oppose à des visions compassées du récit historique.
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jean-paul gavard-perret
Philippe Mugnier, Des Gets au Léman. Une saga entre foi et loi, amazon.fr, mai 2018, 156 p. - 24,90 €.