Mémoires de geste, gestes de mémoires
Renverser la graphie du langage devient une des formes suprêmes de la « révolte » de Jephan de Villiers. Créer revient à poser une question essentielle : s’agit-il d’articuler le dessin dans l’écriture ou l’écriture dans la vie ? Difficile de répondre : la force créatrice d’un côté fait pencher pour la première version, d’un autre elle permet d’opter pour la seconde hypothèse.
L’œuvre interroge aussi le rapport du geste au signe. Mais l’écriture — prise dans un sens large — dépend aussi de l’outil, du liquide, du support mais bien sûr de l’affect, de l’émotion. Et un graphologue montrerait facilement chez le créateur toute l’angoisse et l’énergie qu’il existe dans la matérialité de ses traces secouées de spasmes, d’élancements et d’attentes. Tel Persée, la pensée bondit, perce le séjour de certaines nymphes contre l’oubli : celui qui encapuchonne certaines étendues et les fait ressembler à des grottes.
L’écriture donne donc corps au monstre de mère la langue. L’encre le replonge en un trou d’où il est sorti . C’est aussi et surtout la manière de récupérer les épaves secrètes des mots et des maux de la mère, non en échoueur mais en alchimiste de la langue.
Sa graphie transforme la boue de l’encre en liquide sacré. Aux frontières de la nuit et du jour, aux confins de la mer et de la terre.
jean-paul gavard-perret
Jephan de Villiers : le signe et la mémoire, texte de Roger Pierre Turine accompagné de 68 « écritures » de l’artiste,au format 14 cm sur 11cm, Bibliotheca Wittockiana, Woluwe-St-Pierre (Belgique), 2018, 162 p. — 10,00 €.