Simone de Beauvoir, Mémoires I et II & Sylvie Le Bon de Beauvoir, Simone de Beauvoir

De l’itinéraire ini­tia­tique au plai­doyer pro-domo

Simone de Beau­voir n’avait pas le pro­jet d’écriture « de » l’intime. Néan­moins, très vite elle vit et se pro­jette dans l’avenir comme un écri­vain. Et ce qui a déclen­ché le désir d’écrire n’est en rien lié à ses études et ses ren­contres de la rue d’Ulm. Tout était gravé dans le marbre bien avant. L’auteure avait envie de s’écrire. Et c’est bien là le pro­blème. Et nul hasard dans le fait que les édi­tions Gal­li­mard aient mis si long­temps pour publier de tels écrits dans la Pléiade. Simone de Beau­voir n’est ni Saint Simon, ni Léau­taud, ni Mau­riac. Elle n’est mémo­ria­liste que d’elle-même. Et son regard sur le monde est guidé par la pose.
Il est, de plus, guindé dans l’expression – mais c’est ce qui don­nera pour cer­tains lec­teurs tout le charme d’une expres­sion sur­an­née. Pour preuve ce pas­sage des Mémoires d’une petite fille ran­gée : « Le vent tour­noyait autour des peu­pliers : il venait d’ailleurs, il bous­cu­lait l’espace, et je tour­billon­nais, immo­bile, jusqu’aux confins de la terre. Quand la lune se levait au ciel, je com­mu­niais avec les loin­taines cités, les déserts, les mers, les vil­lages qui au même moment bai­gnaient dans sa lumière ». De quoi esbau­dir les ama­teurs d’une lit­té­ra­ture pas­sa­ble­ment désuète.

Si bien que l’ Album de le Pléiade est presque plus inté­res­sant que les deux tomes des Mémoires. En étroite sym­biose avec eux, tout le par­cours de la femme et d’écrivain s’y retrouve. Le texte de l’album et l’importante intro­duc­tion du tome 1 « cadrent » des textes qui résonnent comme des plai­doyers pro domo et dans lequel les épi­sodes épi­neux sont trai­tés avec d’habiles litotes.
L’ensemble reste impré­gné par une enfance où le fait d’être une femme est essen­tiel. Le père de Simone de Beau­voir vou­lait un gar­çon. En « déses­poir » de cause il ne ces­sera — faute d’avoir engen­dré un futur poly­tech­ni­cien — de res­sas­ser à sa pro­gé­ni­ture : « Tu as un cer­veau d’homme ». Ce qui ne fut d’ailleurs pas sans consé­quence sur celle qui fut poussé par son géni­teur au plus beau des métiers : celui d’écrivain. Et il demeura convaincu (non sans rai­son) que seules les études peuvent sor­tir les filles de la condi­tion médiocre dans laquelle elles se trouvent.

C’est sur­tout à par­tir de 1958 que l’aspect auto­bio­gra­phie prend le pas chez l’écrivaine sur tous les autres genres lit­té­raires. Elle y décrit son milieu bour­geois rem­pli de pré­ju­gés et de tra­di­tions avi­lis­santes, sa rela­tion avec Sartre. Dans Une mort très douce elle retrace la mort de sa mère : le thème de l’acharnement thé­ra­peu­tique et l’euthanasie y sont abor­dés pour une des pre­mières fois dans la lit­té­ra­ture et pour Sartre il s’agit du chef-d’œuvre de sa com­pagne. Ce qui reste néan­moins dis­cu­table.
Durant cette période de deuil, elle est sou­te­nue par une jeune fille Syl­vie Le Bon dont la rela­tion avec elle reste obs­cure. Elle est par­tiel­le­ment levée dans les deux tomes et la Pléiade et son intro­duc­tion par celle qui devint sa fille adop­tive et héri­tière de son œuvre lit­té­raire et de l’ensemble de ses biens et sans laquelle cette édi­tion n’aurait pas vu le jour.

La femme et ses luttes sont pré­sentes. Il n’existe pas seule­ment là des « pages d’histoires » mais une réflexion sur le monde telle qu’il fut. Tou­te­fois, il n’existe dans cet ensemble rien de vrai­ment sub­stan­tiel.  Même si le livre écrit après la mort de Sartre La Céré­mo­nie des adieux est consi­déré par cer­tains comme un livre majeur. Mais là encore Simone de Beau­voir se taille la part belle et tire la cou­ver­ture à elle. Mais n’est-ce pas là le sort de tous des écrits auto­bio­gra­phiques ? Le pre­mier d’entre eux ( Les confes­sions de Rous­seau) mon­tra les limites du genre.
Nous sommes loin, ici, du livre fon­da­men­tal de l’auteur, Le Deuxième sexe. Mais aux lec­trices et lec­teurs d’en juger. Pour les roman­tiques, il sera rap­pelé ce qui n’est pas écrit, et pour cause, dans l’œuvre : Simone de Beau­voir fut enter­rée avec à son doigt l’anneau en argent aux motifs incas offert par Algren après leur pre­mière nuit charnelle.

jean-paul gavard-perret

-  Syl­vie Le Bon de Beau­voir, Simone de Beau­voir, Gal­li­mard, Album de la Pléiade n°57, 2018, 248 p., 198 illus­tra­tions
– Simone de Beau­voir,  Mémoires I et II, Édi­tion publiée sous la direc­tion de Jean-Louis Jean­nelle & Éliane Lecarme-Tabone, Chro­no­lo­gie par Syl­vie Le Bon de Beau­voir, La Pléiade, Gal­li­mard, 2018,  1616 p. & 1696 p.

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