Spécialiste des files anthropiques et des mises en tropes, Richard Texier sait que l’ébène rend la blancheur incompétente aux mesures comme aux démesures. Pour lui, la nature est plus confondante qu’à proprement parler écologique. Elle utilise bons nombres d’attributs farcesques que — et en fonction de l’ « ut pictura poesis » (la poésie imite la nature) - l’art lui reprend. En l’un comme dans l’autre « le beau est toujours bizarre » (Baudelaire) et Texier comme son poète comparse Zéno Bianu de le prouver.
Pour dialoguer avec les forces du possible et les apparats du monde et pour se protéger de l’imprévisibilité d’un chaos, Texier crée Le Manifeste de l’elastogénèse afin de le légender en dehors des idées reçues. L’auteur fait l’éloge du mou contre le dur, de la cosse contre le fruit. L’art est donc élastomère où n’est rien. Pour prouver les bienfaits d’une telle théorie, Zéno Bianu ajoute sa couche en un abécédaire pratique (Alphabet des éblouissements) des « armes » à fourbir pour arpenter et fixer en des cosmos – grands ou petits – les « contrées aux frais reliefs » et les contours de la révolution désastreuse des astres (du moins certains d’entre eux).
Signe que les formes et les révolutions n’existent pas isolément. Tout élément appelle autre chose que lui-même dans une tension ironique. Les dynamiques créent une polyphonie ou une genèse empreinte de points d’appuis qui sont autant de chausse-trappes dans un univers aussi stable que vibrant et dans une esthétique aussi simple qu’insondable – et dont la rigueur est synonyme d’ivresse paradoxale.
Pour Texier, il faut donc répondre à la nature par les mêmes voies détournées qu’elle. Ce n’est pas neuf. L’auteur rappelle qu’aussi bien Ingres que les Surréalistes dilataient les apparences. En conséquence, celui qui inventa des bornes géodésiques pour dresser du monde une carte nouvelle passe donc avec son « Manifeste » à une étape supérieure.
Le créateur tire la singularité de ses visions de deux révélations premières : le sublime tableau d’Yves Tanguy : Jour de lenteur et L’Extase matérielle de J.-M. G. Le Clezio. A partir de ces vivants piliers il prouve combien tout chaos invente son cosmos. Sa théorie en devient un « prospectus » à la Dubuffet afin de créer un lien surréaliste entre l’« Astronomicum Caesarum » de Petrus Apianus et la splendeur de la nature et l’incompréhension de ses forces en présence avec lesquelles il bataille encore et toujours.
Face aux stratégies qui cachent souvent des calculs en rapport avec le pouvoir qui les soutient, le ressort de sa théorie tient en des « phrases» dont le ressort est chaque fois le glissement sémantique en une quête identitaire qui replace l’homme dans le cosmos. L’auteur pose aussi la question de l’intégration de celui-là dans son milieu. Existe donc là tout un art “politique” mais dont le but n’est pas de résoudre des conflits sociaux ou idéologiques. C’est sans doute pourquoi Texier se sent proche d’un Marcel Broodthaers, un des rares artistes qui a créé des objets qui soulignaient leur degré d’aliénation
jean-paul gavard-perret
Richard Texier, Manifeste de l’élastogenèse (suivi de Affirmer la splendeur enlaçante du monde, entretien avec Richard Texier par Zéno Bianu et alphabet des éblouissements (poème élastogénique) par l’interviewer, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2018, 88 p.