À Caracas, la réalité est plus délirante que la fiction !
En sortant de chez lui, Donizetti voit, dans une voiture, les corps criblés de balles d’une femme et d’un enfant. Très troublé, il reprend cependant, vite ses esprits en pensant à la valise. Donizetti Garcia travaille comme journaliste à l’Agence Nationale de presse. Il est divorcé d’Elizabeth, avec qui il a eu un fils, et remarié avec Verónica, qui a une fille. Pour payer la pension alimentaire et faire vivre sa nouvelle famille, il fait des extras, un job que lui a fait avoir un journaliste, comme lui cadre fidèle au Processus. Il convoie, depuis un an, à travers le monde, des valises vertes selon des directives très séquencés et assez sibyllines. Il doit livrer ce bagage sans le quitter des yeux pendant tout le voyage. Mais la livraison à Rome a failli se passer très mal.
Manuel survit dans le magasin de chaussures de ses parents mais rêve d’une autre vie, lui qui est un grand amateur de boxe. En partant pour Prague, la valise que transporte Donizetti est fouillée, événement exceptionnel. Il découvre, abasourdi, que celle-ci ne contient que des vieux vêtements en mauvais état. En rentrant, il est enlevé dans son immeuble et questionné brutalement par un major cubain, qui travaille dans son Agence, pour s’assurer de sa fidélité et de sa droiture quant au gouvernement.
C’est après ce passage à tabac, relâché sous conditions et sans moyens, qu’il retrouve Manuel, son ami d’enfance, avec qui il renoue. Quand il découvre qu’il n’est qu’un jouet au service d’intérêts criminels, il se révolte. Avec son ami, il concocte un plan qui devrait leur permettre de se libérer enfin de toutes leurs contraintes…
Avec Les Valises, le romancier décrit le quotidien qui régnait à Caracas sous le régime de Chavez (bien que ce dernier ne soit jamais cité). Le récit se place au niveau un de la société et suit le parcours d’un fonctionnaire ordinaire confronté à une violence endémique, à une délinquance omniprésente avec, entre autres, assassinats en pleine avenue, enlèvements, attentats à la bombe et autres joyeusetés de ce type générées par un régime corrompu, noyauté par les services secrets cubains, des mafias russes…
La presse officielle a pour consigne de ne pas rendre compte de trop de meurtres. Donizetti avait vite compris que : “…pour survivre à Caracas, il était nécessaire d’oublier en cinq minutes les cinq minutes précédentes.” Il raconte les pénuries dans les produits de premières nécessités tels que œufs, fromages, lait, dans l’énergie et la fourniture de l’eau… Il dépeint les enlèvements express et la nécessité d’avoir, près du téléphone, le numéro de la banque qui accorde des crédits spéciaux, même en pleine nuit, pour payer les rançons.
Pour faire vivre son intrigue, Juan Carlos Mendez Guedez met en scène un duo de personnages gaffeurs, particulièrement attachants avec leurs impératifs de survie, leurs attitudes timorées mais avec l’audace des timides, l’agressivité du lion quand trop, c’est trop. Donizetti est redevable de ce prénom à son père qui s’est entiché d’un air d’opéra mais qui s’est trompé de compositeur. Venu par hasard au journalisme, il ne trouve dans ces missions, pour lesquelles il a pris ces règles : “Pas de questions. Pas d’analyse. Soit seulement un corps qui porte un message d’un point à un autre. Une présence.”, que l’attrait de la prime de voyage.
Manuel, un ex-animateur de radio, homosexuel et amateur de boxe, ne survit qu’en vendant des chaussures dans le magasin de ses parents, un magasin dont il est exproprié, sans compensation, par le gouvernement.
Juan Carlos Mendez Guedez signe un récit où se retrouve les composantes du roman noir et de la critique sociale. Il fait preuve, avec les tribulations, avec les aventures insolites de ses deux antihéros, de beaucoup d’humour. Un humour truculent lorsqu’il raconte des situations picaresques comme la relation improbable de Donizetti et de Marjorie, un ton noir, grinçant, lorsque montre le cynisme et l’impunité des criminels de tous poils.
Servi par une belle écriture, un style fluide, ce livre se révèle excellent.
serge perraud
Juan Carlos Mendez Guedez, Les Valises (Los maletines), traduit de l’espagnol (Venezuela) par René Solis, Métailié Noir, coll. “Bibliothèque Hispano-américaine”, mars 2018, 368 p. – 21,50 €.
Merci beaucoup serge
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