Deux livres paraissent en même temps chez P.O.L pour décrire ou plutôt évoquer deux états d’urgence. Leslie Kaplan « fête » Mai 68 qui avait ouvert quelques années plus tard son œuvre avec L’excès – L’usine. Nathalie Quintane évoque l’épisode « Nuits debout » : ponctuellement celles de Paris mais surtout celles d’une petite ville de province. Réunissant seulement quelques dizaines de participants, cette vision par un petit bout de la lorgnette décante bien des postures et impostures où les théoriciens de nuit écrasent toute pratique dans une bouillasse logomachique.
Les deux auteures ne courent en rien ce risque. Elles savent condenser, chacune à leur manière, ce qui souvent coule chez les autres en torrents qui risquent de n’emporter aucune action. Grâce à la création de deux langues personnelles, elles savent quitter le royaume des lyrismes à la Mélenchon pour appareiller sur leur nef des fous où s’amorce une frénésie au moment où Leslie Kaplan rajeunit une fête vieille de 50 ans et où Nathalie Quintane fait bouillir une expression sporadique mais qui a donné expression à une certaine colère.
Certes, les temps — entre ces deux épisodes — ont changé. La quête n’est plus la même mais un espoir demeure. Les deux femmes restent debout et leur rage est calme : cela leur donne plus de force. Elles permettent de réenchanter le monde non par effet de nostalgie mais pour casser un certain autisme collectif.
Quintane prouve que la vie « au village » n’est en rien anachorèse, retrait politique. L’éloignement fait le jeu d’une proximité que les deux auteures ont appris chez Blanchot.
jean-paul gavard-perret
- Nathalie Quintane, Un œil en moins, P.O.L, 2018, 400 p. — 20,00 €,
- Leslie Kaplan, Mai 68, le chaos peut être un chantier,P.OL, Paris, 2018, 80 p. — 9,00 €.