A peu près tout, à peu près rien
Gilles Weinzaepflen n’est pas de ceux qui laissent la poésie à l’état de prolégomènes et d’expériences d’écriture sans que l’on sache encore où cela peut bien mener. Il permet à l’inverse de comprendre divers types d’animaux machines — communément nommés être humains. Tous montrent une certaine ivresse pour des flacons interdits.
Cela n’empêche pas — bien au contraire — de transformer les chauds lapins en lupins de garenne sans que l’articulation entre les deux soit forcément visible là où telle poésie tire souvent sa force d’éléments biographiques. La représentation du monde y explose en quatre temps et quatre voyages entre cécité et voyance, tourisme et sexualité, cinéma et métaphysique. Mais l’humour reste toujours présent.
Redevenant vernaculaire, la poésie ne se contente pas de constater que qui embrasse trop mal éteint. La lumière vient d’ailleurs. De l’attrait d’une écriture radicale à l’intersection de diverses influences tant géographiques (Yémen) qu’humaines (Klaus Kinski ou le père de l’auteur). Se mélange, dans un travail dynamique et halluciné, une foule de figurations hétéroclites et souvent drôles.
S’éloignant de la représentation purement réaliste, l’auteur mixte Pasolini, La Reine de Saba et divers motocyclistes au sein de fragments qui deviennent des meringues flottantes. Elles interrogent la perception du réel. Métamorphoses, distorsions, anamorphoses trompent les habitudes de lecture là où l’auteur se fait le magicien d’os de ses propres illusions d’optique comme de celles des autres (Rimbaud compris).
Elles offrent, en outre, l’occasion de poser les problèmes fondamentaux de la représentation humaine en formats déformants au sein d’une réflexion sur le « devant être » des choses et de ceux qui les agitent (motos comprises). Sont donc mis à jour le pour et le contre, le tout et le rien là où la finalité n’est que peu de chose par rapport à ce va-et-vient entre deux états opposés. Parfois, en effectuant quelques pas, ou parfois par le reflet d’un miroir, une tête se renverse pour regarder les choses se défaire et se reconstruire.
Cela revient à vivre des moments d’indécision qui, en définitive, font le peu que nous sommes tout en laissant parler autrement le quotidien. Le tout par ce qui devient dans ce livre non seulement des passages obligés mais des aventures.
jean-paul gavard-perret
Gilles Weinzaepflen, Soleil grigri, Editions Lanskine, Paris, 2018, 110 p. — 12,00 €.