Maryline Heck et Raphaëlle Guidée (sous la direction de), Patrick Modiano

La ten­ta­tive est louable, mais elle désha­bille le roi plus qu’elle ne le vêt

Ce Cahier de l’Herne relève d’une caté­go­rie rare et para­doxale, celle des ouvrages bien conçus et bien réa­li­sés, dont presque tous les textes cri­tiques sont appré­ciables, mais que le lec­teur referme avec l’impression que les coau­teurs n’ont pas choisi le bon sujet — car contre toute attente, la lec­ture de ce copieux volume porte à voir l’œuvre de Patrick Modiano comme moins inté­res­sante qu’on ne l’aurait crue a priori.

Si les spé­cia­listes contri­bu­teurs de l’ouvrage avaient bâclé leurs articles, on aurait pu attri­buer ce fâcheux effet d’ensemble à l’insuffisance de leurs efforts, mais non : ils semblent tous avoir fait de leur mieux, et pour cer­tains, avoir exploré Modiano avec un enthou­siasme authen­tique, voie avec pas­sion.
Tel est, par exemple, le cas de Jacques Lecarme, admi­ra­teur de longue date du roman­cier, qui parle des varia­tions d’écriture de Modiano, allant au fil du temps “d’un moder­nisme miroi­tant à un clas­si­cisme de la dis­cré­tion sug­ges­tive” (p. 112), et qui les com­mente avec un entrain pro­pre­ment conta­gieux. Le pro­blème, c’est qu’en reve­nant vers les livres qui marquent des étapes dans l’évolution de l’écrivain, sui­vant les sug­ges­tions de Lecarme, on n’arrive pas à y trou­ver matière à s’enthousiasmer comme lui : certes, l’écriture du Modiano de La Place de l’Etoile était plus moderne et réfé­ren­tielle que celle, “blanche ou grise” d’Une jeu­nesse, mais le pre­mier roman demeure plus appré­ciable à notre sens, si bien que le chan­ge­ment en ques­tion nous semble être, en défi­ni­tive, le résul­tat d’un appau­vris­se­ment du talent de Modiano, plu­tôt que le signe d’une recherche artis­tique allant vers l’épure admirable.

 

De même, les essais de plu­sieurs autres contri­bu­teurs qui cherchent à défendre Modiano contre l’opinion répan­due selon laquelle son œuvre est mono­tone et rem­plie de redites, ne par­viennent pas à atteindre leur but, aussi soi­gneu­se­ment argu­men­tés et fine­ment rédi­gés qu’ils soient : les ayant lus, on en retire non pas la convic­tion que leurs auteurs ont rai­son, mais l’impression qu’ils ont étu­dié à la loupe le petit nombre de par­ti­cu­la­ri­tés ori­gi­nales d’une pro­duc­tion lit­té­raire bien pauvre en sub­stance.
Ce n’est pas un hasard si le Cahier offre tant de pages consa­crées au choix des noms propres dans l’œuvre de Modiano, et même des listes de noms propres dres­sées par l’écrivain : indis­cu­ta­ble­ment, ces signes secon­daires de l’univers per­son­nel d’un roman­cier, ces mots for­cé­ment moins signi­fiants que le reste de son voca­bu­laire, jouent un rôle majeur dans le style de l’auteur en ques­tion, constat qui va de pair avec un juge­ment néga­tif que les com­men­ta­teurs se gardent bien d’émettre, mais qui ne s’en impose pas moins à notre sens.
Car pour ce qui est du style pro­pre­ment dit, ou de la thé­ma­tique, les limites de la pro­ver­biale “petite musique“ sont trop res­treintes pour qu’on puisse se dis­pen­ser d’accorder une atten­tion maxi­male au jeu sur les noms ou à d’autres pâles sin­gu­la­ri­tés, comme les choix topo­gra­phiques de la nar­ra­tion modia­nesque.
Tant de pages com­men­ta­tives bien écrites pour nous lais­ser sur l’impression para­doxale que Modiano sort tout sauf grandi et magni­fié de cette étude col­lec­tive : mal­gré le res­pect qu’on doit à ses zéla­teurs, il faut bien dire que le roi est nu, ou plu­tôt vêtu du flou artis­tique qu’on appré­cie chez lui faute de mieux.

a. de lastyns

 

   
 

Mary­line Heck et Raphaëlle Gui­dée (sous la direc­tion de), Patrick Modiano, coll. “Cahiers“, L’Herne, jan­vier 2012, 278 p.- 39,00 €

 
     

 

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