La tentative est louable, mais elle déshabille le roi plus qu’elle ne le vêt
Ce Cahier de l’Herne relève d’une catégorie rare et paradoxale, celle des ouvrages bien conçus et bien réalisés, dont presque tous les textes critiques sont appréciables, mais que le lecteur referme avec l’impression que les coauteurs n’ont pas choisi le bon sujet — car contre toute attente, la lecture de ce copieux volume porte à voir l’œuvre de Patrick Modiano comme moins intéressante qu’on ne l’aurait crue a priori.
Si les spécialistes contributeurs de l’ouvrage avaient bâclé leurs articles, on aurait pu attribuer ce fâcheux effet d’ensemble à l’insuffisance de leurs efforts, mais non : ils semblent tous avoir fait de leur mieux, et pour certains, avoir exploré Modiano avec un enthousiasme authentique, voie avec passion.
Tel est, par exemple, le cas de Jacques Lecarme, admirateur de longue date du romancier, qui parle des variations d’écriture de Modiano, allant au fil du temps “d’un modernisme miroitant à un classicisme de la discrétion suggestive” (p. 112), et qui les commente avec un entrain proprement contagieux. Le problème, c’est qu’en revenant vers les livres qui marquent des étapes dans l’évolution de l’écrivain, suivant les suggestions de Lecarme, on n’arrive pas à y trouver matière à s’enthousiasmer comme lui : certes, l’écriture du Modiano de La Place de l’Etoile était plus moderne et référentielle que celle, “blanche ou grise” d’Une jeunesse, mais le premier roman demeure plus appréciable à notre sens, si bien que le changement en question nous semble être, en définitive, le résultat d’un appauvrissement du talent de Modiano, plutôt que le signe d’une recherche artistique allant vers l’épure admirable.
De même, les essais de plusieurs autres contributeurs qui cherchent à défendre Modiano contre l’opinion répandue selon laquelle son œuvre est monotone et remplie de redites, ne parviennent pas à atteindre leur but, aussi soigneusement argumentés et finement rédigés qu’ils soient : les ayant lus, on en retire non pas la conviction que leurs auteurs ont raison, mais l’impression qu’ils ont étudié à la loupe le petit nombre de particularités originales d’une production littéraire bien pauvre en substance.
Ce n’est pas un hasard si le Cahier offre tant de pages consacrées au choix des noms propres dans l’œuvre de Modiano, et même des listes de noms propres dressées par l’écrivain : indiscutablement, ces signes secondaires de l’univers personnel d’un romancier, ces mots forcément moins signifiants que le reste de son vocabulaire, jouent un rôle majeur dans le style de l’auteur en question, constat qui va de pair avec un jugement négatif que les commentateurs se gardent bien d’émettre, mais qui ne s’en impose pas moins à notre sens.
Car pour ce qui est du style proprement dit, ou de la thématique, les limites de la proverbiale “petite musique“ sont trop restreintes pour qu’on puisse se dispenser d’accorder une attention maximale au jeu sur les noms ou à d’autres pâles singularités, comme les choix topographiques de la narration modianesque.
Tant de pages commentatives bien écrites pour nous laisser sur l’impression paradoxale que Modiano sort tout sauf grandi et magnifié de cette étude collective : malgré le respect qu’on doit à ses zélateurs, il faut bien dire que le roi est nu, ou plutôt vêtu du flou artistique qu’on apprécie chez lui faute de mieux.
a. de lastyns
Maryline Heck et Raphaëlle Guidée (sous la direction de), Patrick Modiano, coll. “Cahiers“, L’Herne, janvier 2012, 278 p.- 39,00 € |
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