Michel Crépu, Un empêchement — Essai sur l’affaire Fillon

L’astu­cieux

Michel Crépu donne l’impression, à qui le ren­contre, d’être un per­son­nage impor­tant et froid qui ne se mêle pas au tout-venant. Il l’est cer­tai­ne­ment. Pour preuve, maître de la pen­sée offi­cielle, il a dirigé une revue majeure (La Revue des Deux Mondes) et en dirige une autre encore plus impor­tante aujourd’hui (la N.R.F.). La pre­mière lui a causé quelques déboires lors de la cam­pagne élec­to­rale il y a plus d’un an. Et cela jus­ti­fie en grande par­tie le titre de cet essai. Manière pour lui de faire le ménage et de jeter cer­tains bébés avec l’eau de leur bain au nom d’un monde dont l’auteur réus­sit l’exploit d’exhumer les feux tout en balayant des cendres.
L’essayiste sait culti­ver l’image d’un faus­se­ment naïf. Il sait se confi­ner en se met­tant à l’abri des remugles du monde. Et paraît enfermé dans sa tour d’ivoire de la rue Gas­ton Gal­li­mard. Il y conserve une posi­ton non négli­geable dans le monde lit­té­raire voire média­tique. Du haut de son silence rela­tif, il reste une émi­nence grise sage­ment cour­tisé. Des gains exor­bi­tants reçus par une rédac­trice d’une revue qui nor­ma­le­ment ne rétri­bue qu’au lance-pierre ses col­la­bo­ra­teurs, il se défausse. Des 100 000 euros reçu pour une col­la­bo­ra­tion de vingt mois et deux notes de lec­ture tout juste dignes de Wiki­pe­dia, on ne saura rien sinon la vir­gi­nité du chro­ni­queur et son exé­cu­tion. « Fillon n’a pas été vic­time d’un com­plot du dehors, c’est lui et lui seul qui a allumé le feu à son propre bûcher ». Et d’avouer devant la bri­gade finan­cière n’avoir jamais vu sa « conseillère lit­té­raire » témoigne, pour le moins et au mieux, d’une cer­taine légè­reté. Il a néan­moins été récom­pensé en pas­sant d’une revue mou­rante et oubliée à une veuve qui garde de beaux restes.

Crépu prouve ici en don­nant des gages de for­fan­te­ries com­ment ména­ger ses arrières. En milieu d’influence ger­ma­no­pra­tine, il faut savoir grif­fer à bon escient pour ména­ger ceux qui res­tent utiles et ne déve­lop­per les méchan­ce­tés que pour qui se retrouve loin de sa zone de confort. Houilleuse en fait par­tie ; il n’appartient ni à Gal­li­mard, ni à l’establishment si bien que l’égratigner ne mange pas de pains.
L’essai reste donc à l’image de l’auteur : clair-obscur. Crépu ne se fera pas invi­ter par « Le Quo­ti­dien » mais pourra tirer par­tie d’un pas­sage sur France Culture où l’on sait bien se tenir — même dans l’émission « Mau­vais Genre ». Certes, Michel Crépu choi­sira un autre cré­neau lors de son pas­sage à la mai­son ronde.

Jouant de l’allusion à l’épisode Fillon dans un souci mar­ke­ting bien com­pris, l’auteur a l’astuce de ne pas le consti­tuer en centre de son pro­pos. Crépu est de ceux qui prennent de la hau­teur quand il le faut car cela les arrange. On aurait même trouvé sym­pa­thique la défense d’un homme poli­tique qui n’avait cer­tai­ne­ment pas mérité tout ce qui lui est tombé des­sus. Car, à cette aune, d’autres têtes auraient pu tom­ber. Mais c’est déjà une vieille his­toire. De toute façon,  une loi des élites impose de ne pas se faire de cadeaux entre « amis » lorsque le vent tourne.
Pour per­mettre d’avaler sa pilule, Crépu fait rire (un peu) du cirque Rive Droite et Gauche dont il est un des amu­seurs (dis­crets). Il existe certes en fili­grane encore quelques coups de poi­gnards envers l’ex-candidat à la répu­blique : « Il par­tait tou­jours de bonne heure, il avait du tra­vail, on le com­pre­nait, on l’applaudissait, on l’admirait dis­crè­te­ment, de s’être octroyé une petite heure de conver­sa­tion sur le sens de l’Etat (…) Pour cela, Fran­çois Fillon devien­drait un jour pré­sident de la Répu­blique ». Mais l’auteur a besoin de rap­pe­ler qu’il n’a pas voté pour lui. C’est peut-être un clin d’œil à un jeune Pré­sident qu’il vient d’accueillir pour une longue inter­view dans les pages de sa nou­velle revue (avril 2018). Entre­tien plus banal qu’attendu de la part d’un pré­sident qui montre là, comme ses pré­dé­ces­seurs, des limites dans les options lit­té­raires. (Elles per­mirent néan­moins de faire pas­ser Mit­ter­rand ou Gis­card pour des fins lettrés).

Existe dans ce livre une com­ponc­tion onc­tueuse et un moyen d’appeler stra­té­gi­que­ment un chan­ge­ment d’époque. De fait, cet essai est d’un macro­nisme larvé. S’y constate com­ment les élites savent se recy­cler. Fillon res­tera ainsi l’objet, le sujet et le din­don de cet essai tris­te­ment sati­rique sur le repo­si­tion­ne­ment des pions sur l’échiquier des pou­voirs. Certes, Crépu n’est pas for­cé­ment tendre pour le « ludion, tenant tout à la fois de Machia­vel et de Harry Pot­ter ». Pas sûr pour autant que, sous la flèche, le pré­sident Macron devienne un Saint Sébas­tien (l’épisode entre­tien NRF prouve tout le contraire).
Crépu assure très vite ses assises comme il sait mettre les rieurs de son côté. Tous ne sont pas dupes d’un tel leurre. Si bien qu’Un empê­che­ment ne l’est pas pour tous au moment où l’auteur dilue l’affaire dans le long temps en s’offrant une vir­gi­nité tout azi­mut par un tour d’éloquence quelque peu sur­anné. On est loin du Bloc-notes de Mau­riac. Quant au Ber­na­nos et autres Bloy, ils sont aux abon­nés absents. A tel chro­ni­queur chro­nique à demi.

jean-paul gavard-perret

Michel Crépu, Un empê­che­ment — Essai sur l’affaire Fillon, Gal­li­mard, Hors série lit­té­ra­ture, Paris, 2018.

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