L’album débute par une vue panoramique sur un fleuve, puis sur des ossements, un tronc d’arbre abattu. Une ombre se profile, celle d’un animal géant. Il chemine dans un paysage chaotique, regarde deux petits animaux se disputer un morceau de proie. Il plonge et nage, ne laissant émerger que sa crète dorsale, poursuit son chemin aussi à l’aise dans l’eau que sur terre.
C’est, dans un environnement luxuriant, la vie habituelle des dinosaures de l’Egypte du crétacé. L’auteur raconte la survie, les combats pour se nourrir, pour subsister et ne pas être mangé. Il illustre les batailles, les luttes, les morts, les techniques collectives pour cerner des proies bien supérieures en taille et les curées qui s’en suivent. Delgado ne nous épargne rien, de la longue traînée de merde laissée par l’animal, aux proies sanglantes écrasées dans des mâchoires à la dentition impressionnante. C’est aussi la rencontre pour l’accouplement, pour l’instinct de lignée, la défense des œufs.
Ricardo Delgado a conçu ses histoires comme celles d’un western, un genre cinématographique qui l’a beaucoup marqué. Il est arrivé à ce genre, qu’il refusait, à travers l’œuvre de Akira Kurosawa, le réalisateur, entre autres, du célébrissime Les Sept samouraïs, Le Garde du corps… Mais, quand il découvre que le créateur japonais a été beaucoup influencé par John Ford…. D’ailleurs la fin du volume rappelle fortement celle d’un Lucky Luke, mais sans le cheval.
Ricardo Delgado confesse qu’il est obsédé par les dinosaures depuis l’âge de huit ans, depuis qu’il a visionné La Vallée des Gwangs, un film d’animation. Pour mettre en scène ses histoires, il s’appuie sur le Spinosaurus, sans doute l’un des plus gros dinosaures carnivores, dépassant en taille le Tyrannosaurus rex. Le cadre de ce roman graphique, sans dialogues, se situe en Afrique, à l’ère du crétacé, entre 110 et 97 millions d’années. Alors, l’Afrique n’avait pas la configuration actuelle et le site égyptien d’Al-Bahariya (découvert par Ernst Stromer au début du XXe siècle) était un immense estuaire. C’était un animal adapté au milieu aquatique, aussi à l’aise dans l’eau que sur terre. Une reconstitution à partir du crâne en fait un animal mesurant entre quatorze et dix-huit mètres avec un poids de l’ordre de onze tonnes. Si les estimations sont exactes, elles en font le plus grand carnivore que la Terre ait porté.
Ces récits sont complétés par un travail bibliographique conséquent qui comprend un avant-propos signé par Alan Dean Foster, un autre de Barbara S. Grandstaff, chercheuse en paléontologie et des réflexions de l’auteur. Celles-ci portent sur ses influences venues du cinéma, ses centres d’intérêt depuis l’enfance, sur Al-Bahariya. Une galerie de couvertures et un cahier de sept pages sur ses recherches de couleurs, ses croquis et essais de personnages pour l’Araripesuchus, le Deltadromeus, le Paralititan… et bien sûr le Spinosaurus complètent l’album.
Un album passionnant où le suspense est très présent (le héros sera-t-il encore en vie à la fin de l’histoire ?) et qui donne une bonne idée de l’existence que pouvaient mener ces énormes animaux dans ce climat tropical.
serge perraud
Ricardo Delgado (scénario et dessin), Au temps des reptiles (Age of Reptiles : Ancient egyptians), Casterman, Label Paperback, mai 2018, 136 p. – 16,00 €.