Jeu de miroirs autour d’un roman inachevé
Franck Thilliez, bien connu pour les aventures de Sharko et Henebelle (Sharko, Syndrôme E, Gataca, Atomka…) nous revient avec un machiavélique one-shot dont lui seul a le secret. Au centre de son intrigue, un roman inachevé qui joue avec les codes du thriller, et du roman au cœur du roman. Ici tout est dualité : échos entre réalité et fiction, affrontement du Bien et du Mal, sentiments troubles des personnages qui les font douter (ainsi que le lecteur !) de qui ils sont vraiment…
Bref, un jeu de miroirs constant avec lequel s’amuse l’auteur pour mettre les nerfs du lecteur à vif, dont l’angoisse et l’impatience de connaître la vérité montent à chaque page.
En prologue : la découverte du manuscrit inachevé du fils d’un auteur policier récemment disparu, qui s’engage à nous livrer le texte dans son intégralité et à lui livrer un dénouement, qu’il espère à la hauteur des attentes des fans de son père. Car l’histoire mise en place est d’une rare noirceur et le suspense y est incroyable.
Près de Grenoble, un jeune homme est tué lors d’un contrôle douanier, et l’on découvre dans son coffre le corps d’une jeune femme au visage complètement méconnaissable. Les inspecteurs Vic et Vadim vont alors très vite relier entre elles plusieurs affaires de disparitions, et se retrouver sur la piste d’un tueur en série. Parallèlement, Léane Morgan alias Enaël Miraure, célèbre reine du thriller, voit sa vie privée, toujours tenue secrète, exploser. L’agression soudaine de son mari va faire resurgir le pire. Y aurait-il un lien avec l’enlèvement de sa fille Sarah quatre années auparavant ? Y-a-t-il une chance que Sarah soit encore en vie, alors même que le tueur en série qui dit l’avoir tuée n’a jamais livré l’emplacement du corps ? Que penser des intrusions dans sa maison, de la disparition de ses livres retrouvés sur une piste de crimes ? L’explication qui se cache derrière tous ses faits pourrait bien mener Léane de l’autre côté du miroir sans aucune possibilité de retour à la normalité…
Si le début du roman est parfois un peu perturbant, avec une galerie de personnages assez nombreux, qu’il faut le temps ‘d’apprivoiser’, on se retrouve très vite captif de cette histoire aux multiples facettes. Tels des boîtes gigognes, qui livrent peu à peu leur contenu, les indices se cachent et se livrent en couches différentes pour ne prendre sens que dans les toutes dernières pages. Même la fin est double, et le lecteur pourra y déployer ses propres conclusions, jouant au détective en même temps que ceux du roman, mais aussi en même temps que l’héritier de l’auteur de ce ‘manuscrit inachevé’.
Autant vous dire qu’il n’est pas facile de résumer ce redoutable one-shot. On y retrouve des thèmes chers à monsieur Thilliez, comme les pertes de mémoire (cf La mémoire fantôme, Rêver…), l’exploration des milieux souterrains les plus noirs, la confrontation avec des tueurs impitoyables… tout cela avec un style inimitable, travaillé, tout comme la psychologie des personnages, qui font autant preuve d’humanité que d’inhumanité. Sont ajoutés aussi de nombreux clins d’œil aux grands noms du roman policier comme Maurice Leblanc, Agatha Christie, Sir Arthur Conan Doyle, qui sont comme un hommage de l’auteur à ses Grands qu’il a dû lire enfant.
Ce manuscrit inachevé donnera à chacun l’envie de prendre sa plume, et d’écrire la fin qu’il aura envie de lire, qu’elle soit semblable à celle(s) proposée(s), ou pas…qu’elle soit douce ou meurtrière, avec un happy end, ou un dénouement des plus tragiques. Un jeu de miroir qui ne prend fin que si l’on en a vraiment l’envie.
franck boussard
Franck Thilliez, Le manuscrit inachevé, Fleuve Noir, mai 2018, 528 p. – 21,90 €.