Grégoire Delacourt, La femme qui ne vieillissait pas

Si vieillir m’était conté

Qui n’a pas par­fois rêvé de la jeu­nesse éter­nelle ? De pou­voir tra­ver­ser les années en gar­dant un phy­sique de jeune homme, ou jeune femme ? “Rêve” d’autant plus exa­cerbé de nos jours par cette société obnu­bi­lée par un jeu­nisme omni­pré­sent dans les médias, les publi­ci­tés. Un “rêve” qui tourne au cau­che­mar dans le nou­veau roman de Gre­goire Dela­court.
Betty se rend compte, à la tren­taine, que le temps , n’a aucune emprise sur son phy­sique. Son visage garde le même teint frais qu’elle avait à vingt ans. Aucune ride ne s’invite autour de ses yeux, ou de sa bouche. Sa sil­houette reste aussi élan­cée que dans son ado­les­cence. Betty se voit octroyer un pou­voir auquel elle ne s’attendait pas, et qui est révélé par une série de por­traits réa­li­sés par un pho­to­graphe pro­fes­sion­nel tous les ans, avec la même pose.
Betty pour­rait donc vivre cette situa­tion avec joie, si elle n’avait pas pour consé­quences plu­sieurs situa­tions rocam­bo­lesques et mal­heu­reuses. Son couple va tout d’abord en subir les frais, quand son mari déci­dera de la quit­ter. Il lui sera aussi dif­fi­cile de gar­der outre une famille unie, des amis autour d’elle, et un tra­vail stable. Ne pas vieillir tourne à la malé­dic­tion, mais com­ment pourra-t-elle y échapper ?

La femme qui ne vieillis­sait pas est un conte moderne en plu­sieurs par­ties, qui nous fait voya­ger au rythme des dif­fé­rentes sai­sons de la vie. Enfance et ado­les­cence, âge adulte et vieillesse sont nar­rés à tra­vers l’œil de cette femme que la géné­tique épargne et qui ne subit pas le poids des ans. On pour­rait pen­ser à un Por­trait de Dorian Gray inversé ou presque, puisque les pho­tos prises par le même artiste au fil du temps ne subissent aucun chan­ge­ment, comme le modèle qu’ils repré­sentent. Ici pas de pacte avec le diable, pour conser­ver une éter­nelle jeu­nesse, mais juste un phé­no­mène inex­pli­cable . Un phé­no­mène, que Betty n’a pas non plus choisi de vivre.
Le poids du temps qui passe, ou plu­tôt ne passe pas, est certes le res­sort prin­ci­pal de ce roman, mais l’on y retrouve aussi des leit­mo­tivs de l’écriture de mon­sieur Dela­court : deuil et perte des êtres chers (avec une belle dédi­cace à sa maman au début du roman), vie de couple figée dans le temps par le quo­ti­dien et ses contraintes, amour dif­fi­cile à faire durer, regard des autres et poids des conven­tions sociales.

Une fois encore, l’héroïne est la nar­ra­trice, comme si elle seule pou­vait uni­que­ment per­ce­voir la sub­ti­lité des chan­ge­ments ou non-changements que sa dif­fé­rence entraîne. Tout est donc perçu à tra­vers ses yeux, parti-pris de l’auteur de nous livrer les émo­tions exa­cer­bées de cette femme sur qui le temps glisse, alors que tout son entou­rage en subit par­fois les consé­quences, son fils en tout pre­mier lieu. Quelques traits d’humour son habi­le­ment glis­sés au fil des pages, comme cette ren­contre de l’héroïne, avec sa future belle-fille, à qui elle est pré­sen­tée comme une cou­sine, le sta­tut de mère lui étant désor­mais refusé en rai­son de ses traits figés par le temps.
Car après celui d’épouse, c’est son rôle de mère qui va s’effriter, autant dire que cela n’a plus rien de comique à ses yeux, mal­gré cer­taines situa­tions rafraî­chis­santes pour le lecteur.

La poé­sie de l’écriture de Gré­goire Dela­court per­met de trai­ter un thème de société avec grâce et légè­reté (ou pas)  et amène cha­cun à réflé­chir sur l’emprise du temps. Est-ce que vieillir entraîne for­cé­ment la perte de nos illu­sions ? Doit-on à ce-point se sou­cier de son phy­sique qu’on en oublie les choses essen­tielles ? Et si vieillir nous appre­nait sim­ple­ment à voir au-delà des appa­rences et à enfin être soi-même ?
Quelques amorces de réponses sont livrées à tra­vers les pages de ce conte moderne, mais sur­tout un véri­table ques­tion­ne­ment per­son­nel pour ceux qui en auront l’envie. En tout cas, ce roman per­met de “pas­ser le temps” ou de le “tra­ver­ser” avec le sou­rire également…et c’est peut-être cela le plus important.

franck bous­sard

Gré­goire Dela­court, La femme qui ne vieillis­sait pas, JC Lat­tès, 2018, 246 p.- 18,00 €.

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