Après le conflit nucléaire du 29 août 1997, les rares survivants organisent la résistance contre les machines devenues autonomes et qui sont à 1’origine de la catastrophe. Depuis 2029, Skynet, l’ordinateur qui contrôle ces machines, envoie un Terminator, un cyborg (machine à tuer, mi-homme mi-ordinateur) pour une mission meurtrière, à Los Angeles. Son objectif est de tuer — en 1984, temps présent de la narration — Sarah Connor, dont la vie représente une grande importance pour les années à venir, puisque c’est elle qui donnera naissance au futur chef de la résistance humaine qui permettra de vaincre les terrifiantes machines.
Dans le même temps — si l’on ose dire — Kyle Reese, lui aussi venu du futur, doit protéger la jeune femme et la sauver de ce tueur : les deux guerriers se livrent alors un combat sans merci pour mener à terme leur mission. Mais, ni le Terminator ni Reese ne peuvent repartir car “ le futur demeure le futur. ” La fin du premier film de James Cameron ( 1984) voit Reese réussir à éliminer physiquement le Terminator en perdant lui-même la vie, mais en ayant mis enceinte Sarah Connor : celui qui dirigera la résistance humaine contre l’invasion et la suprématie des robots sophistiques n’est autre que son fils (John) ! Ici, c’est donc le fils qui envoie son père dans le passé afin de protéger sa mère et d’être par là même assure d’être procréé. Autrement dit, sans l’intervention d’une modification — due au futur — dans sa vie, cette femme aurait une existence présente complètement différente de celle que nous montre le film (à la rigueur elle ne tomberait même pas enceinte, puisqu’elle n’a un enfant qu’avec un homme du futur). Mais, qui plus est, ce futur ne peut qu’avoir lieu, sinon le chef à venir de la résistance humaine n’existerait pas !
Pas de futur donc sans irruption d’une causalité efficiente dans 1’ordre du présent : pas de futur sans le sacrifice de Reese puisque la mort du Père en 1984 permet à son Fils d’envoyer depuis 2029 son propre géniteur a travers le temps pour éviter la mort de Sarah Connor, suprême condition de possibilité de tous les événements ultérieurs : “ L’ultime combat n’aura pas lieu dans le futur, mais sera livré dans le présent, ce soir ” prévient en exergue la bande générique du film. Reste à savoir qui le fils envoie dans le passé, si son père, pour que son descendant puisse naître, doit mourir en 1984. Non son père factuel et reconnu comme tel, dirait Borges, mais son père virtuel : paternité en puissance qui ne pourra advenir génitrice en acte que par la forme d’un détour par le passé. Chaque homme a donc bien de multiples existences, et c’est seulement un de nos doubles possibles qui mène telle ou telle action que nous croyons indispensable à la constitution de notre processus identitaire [Voir le dialogue où Reese légitime avec grand peine sa mission auprès de Sarah : “ — Pourquoi moi ? Je n’ai rien fait ! — Non, mais tu vas le faire. Et de ta vie dépend notre avenir. ”
Terry Gilliam reprend les entrelacs d’un tel casse-tête temporel dans L’armée des 12 singes (1996) où le héros, devant là aussi intervenir depuis le futur pour sauver l’espèce humaine d’une catastrophe déclenchée dans le passé, se retrouve à la fois enfant et adulte (distinction temporelle des vécus des états de conscience) dans la même salle d’aéroport lors des scènes finales (unité d’un lieu spatial et topographique) où le sort de l’humaine condition se joue dans l’intervalle de quelques secondes.] L’ordinateur central cherche ainsi à effacer toute trace de John Connor [on pourrait appliquer ici la remarquable analyse que fait Hannah Arendt dans Le Système totalitaire de la notion de “ crime totalitaire ” et parler, à propos de ce calcul froidement mis en place d’éradiquer tout signe de vie ab ovo de “ crime cybernétique ”] car, 1’espèce humaine ayant quasiment triomphé des machines en 2029, il ne servirait à rien de tuer John à cette époque, une fois adulte (son impact étant devenu trop important, la libération croissante ne peut qu’avoir lieu) : il s’agit donc de 1’éliminer plus tôt dans le cours du temps, soit lorsque son existence n’est encore que possible (le premier film consacrant une sorte d’avortement rétroactif), soit lorsqu’il est enfant (second film réalisé une fois encore par Cameron en 1991 et appelé : Terminator 2 , “ le jugement dernier ”).
Pour l’heure, c’est donc Sarah Connor qui va apprendre à son fils comment se battre en prévision de la guerre qui anéantira l’humanité : c’est elle, “ la mère du futur ”, qui fait en sorte que le passé (sa situation présente en 1984) puisse orienter positivement le futur en permettant à son fils de naître. Mais cet enseignement qu’elle lui prodigue n’est en fait que le fruit des leçons mêmes que Reese lui a transmises avant de mourir. Bref, la révolte future est alimentée par des enseignements venus d’un passé apparent, mais issus directement d’un homme du futur. A ce titre, le “ présent ” semble ici réduit à une zone floue intercalée entre un futur accompli (qui regarde par-dessus son épaule) et un futur en voie d’accomplissement (le présent en tant qu’exécution invariable d’un futur pré-programmé). C’est un présent constamment orienté vers le “ pas-encore ” et le “ demain ”, non un présent de 1’attention, car le maintenant y est réduit à rien dans la mesure où tout éclairage ou tout sens ne peuvent provenir que du futur, c’est-à-dire de ce qui a déjà eu lieu pour les principaux protagonistes de Terminator.
Par exemple, John Connor adulte a confié à son père une photo de Sarah afin qu’il soit motivé dans sa mission par la beauté de la femme qu’il doit protéger et réussir, non seulement à la sauver, mais surtout à lui faire un enfant. En ce sens, on peut dire qu’ici, l’enfant programme sa naissance et 1’accouplement de ses parents : 1’inversion et la réversibilité temporelle lui permettent, selon la logique d’un complexe que Freud n’eût sans doute pas renié, de montrer son attachement à sa mère tout en se jouant de 1’obstacle représenté par la figure paternelle. A tout le moins, c’est 1’enfant du couple qui fait que ce qui a eu lieu puisse bel et bien se (re-)produire, en dépit des interférences du futur. Sarah indiquant à la fin du premier film que Kyle est le père de John, ce dernier sait pourtant consciemment qu’il doit renvoyer son père dans un passé, où il ne peut naître qu’à condition que son père y meurt. Le fils est 1’auteur de sa propre série causale, ce qui semble nier le libre arbitre des autres intervenants et soulever le problème du déterminisme et du destin : car, à moins de poser à nouveaux frais la question de 1’éternel retour, il faut noter que Kyle va dans le passé parce qu’il ne peut agir autrement [De manière plus tragique encore, L’Armée des l2 singes pose que la tentative de l’homme perdu dans le labyrinthe temporel ne peut qu’échouer et se répéter infiniment dans la spirale des erreurs et des passions humaines].
Dans la suite du premier Terminator, tourné en 1991, un second Terminator identique au précédent est envoyé dans le passé, cette fois-çi pour sauver le fils de Sarah Connor contre les desseins meurtriers d’un autre Terminator, beaucoup plus perfectionné, au service des machines des “ patrouilles de la mort ”. Le conflit entre les deux émissaires recommence, mais avec une intervention plus précise dans 1’agencement temporel des événements. En effet, 1’ingenieur Tyson Miles Bennett est celui qui va produire 1’ordinateur Skynet (à partir des vestiges électroniques du premier robot retrouvés en 1984), à la source du conflit nucléaire [Ce micro-processeur, I’“ U.P.C. ”, provient donc du premier Terminator : en ce sens, les progrès techniques responsables de la troisième guerre mondiale ont leur cause eux aussi dans le futur. C’est le futur qui est condition de la destruction du présent : tout se passe une fois de plus comme si le présent n’avait aucune consistance, comme si aucune chose ne s’y passait à proprement parler. Le présent semble dès lors s’apparenter à un vaste décor théâtral pour des acteurs venus du monde d’un autre temps].
Apprenant cette information de la part du Terminator envoyé du futur par la résistance, Sarah décide d’empêcher la création du microprocesseur révolutionnaire qui confiera la décision aux machines du système de défense américain. Ce à quoi elle semble parvenir dans le cours présent des choses que nous offre “ Le jugement dernier ”. Mais c’est en même temps un échec puisque le fait qu’elle doive empêcher ici Tyson d’accomplir son oeuvre signifie qu’elle a été prévenue du danger (futur) constitué par sa découverte. Or, comment une telle information peut-elle venir d’ailleurs que du futur ? Et, venant du futur, n’est-elle pas 1’indeniable signe que cette guerre a bien eu lieu et que le conflit est inévitable parce qu’inéluctable ? [Le problème posé par Terminator est alors le suivant : une fois admise la possibilité de retourner dans le passé depuis le futur, que signifie exactement réintégrer le présent en rebroussant ce contre-chemin ] Autrement dit, ce qui arrivera arrive parce que cela est déjà arrivé ! [Cf. Marc Wetzel, Le temps, Quintette 1990, p. 32 : “ Si remonter le temps vers le passé implique « s’éloigner du présent plus vite que le devenu », donc une prise de retard possible sur les moments d’écoulement […] le descendre « en s’approchant de l’avenir plus vite que le devenir », implique qu’on prenne de l’avance… […] Mais comment prendre de 1’avance sur le temps ? Quel passé de son faux présent produit cette course plus vite que le temps ? ”]
Le film de Cameron ne peut alors nous offrir en guise de consolation que les atermoiements des héros, mais cette grotesque pantomime humaine n’est plus en mesure de déjouer les pièges de 1’implacable déroulement du temps . [Cela, même si Sarah grave sur une table : “ no fate ” (pas de destin). Ne fait-elle pas que se ressouvenir d’un message que son fils a fait apprendre par coeur à son père à son intention : “ pas de destin, mais ce que nous voulons. ” ?] Voulant changer l’avenir, Sarah désire tuer Tyson car elle connaît l’importance déterminante de sa future découverte, mais pour cela, ne faut-il pas que la guerre qu’elle cherche désespérément à éviter ait déjà eu lieu dans le futur ? A quoi bon alors prendre la peine de modifier dans le présent ce qui ne peut qu’être accompli plus tard puisque la révolte actuelle en est précisément l’incoercible mais inutile rejeton ? Faute de quoi le spectacle en tant que tel n’existerait pas. Jusqu’au bout, le temps reste destructeur et dévorateur, car il est compris dans la nature des hommes de “ se détruire entre eux ”. Le “ jugement dernier ” aura lieu : qu’il existe ou non, John Connor est condamné à ne voir la première fois son père — qui n’est pas né à 1’heure actuelle — que trente ans plus tard, lorsqu’il le renverra dans le passé pour se protéger lui-même. [Cf. M. Weztel, ibidem, p. 31 : “ Mais revenir dans le passé est une image spatiale contradictoire puisque cela signifie arriver plus tôt qu’on est parti : […] le retour dans le passé signifie que ce retour lui-même se passe comme un présent qui passe, c’est-à-dire s’éloigne de son propre présent… c’est-à-dire du passé, puisqu’il s’agit bien d’aller au passé ! On crée alors exactement autant de passé qu’il faudrait en neutraliser pour y réaccéder ! […] aller au passé suppose qu’on se déleste de tout futur, car si l’on emporte du futur avec soi […] on aboutira à du faux passé. Or comment […] couper en quelque sorte les vivres au futur, durant toute la traversée vers le passé ? ”]
Parce qu’elles surviennent et qu’elles sont là, les choses sont déjà (d’) ailleurs : “ Car, s’il est vrai que c’est pas le tout d’aller dans le passé, … faut en revenir, la vraie énigme est qu’il faut en revenir, et peut-être même en être déjà revenu, pour y aller ! ” [Cf. M. Weztel, p. 33]. Paradoxalement ici, le fait que tous les événements du présent vécus hic et nunc et apparemment improvisés aient lieu, est le signe qu’ils ont déjà eu lieu et qu’ils ne sont que répétés. Vainement répétés pour faire croire que la liberté humaine existe dans la réalité alors qu’elle n’est qu’un rêve. Le rêve de machines ayant peut-être follement cru qu’un jour elles ont eu une âme. A moins de penser, comme nous y invitent Borges et les perspectives du voyage dans le temps, qu’il y a toujours des “ sentiers qui bifurquent ” face à nous, qu’il y a dans l’avenir des compossibles (des “ possibles ” en même temps) qui ne se concrétisent pas tous. Et qu’ici, l’un d’entre eux seul se trouve réalisé. Ainsi de même que le passé est ce lieu où il n’y a plus de possibles, et le présent là où un possible se manifeste, le futur se donne à penser comme le champ des possibles.
L’approche rationaliste du problème du temps pose que le présent est un possible qui se réalise au moment où il se réalise, et qu’il en va ainsi pour l’avenir. Mais c’est là considérer les choses sous l’angle du passé. Or, l’optique de Terminator nous invite à penser que l’avenir n’est avenir que parce qu’il n’est pas écrit ou modifiable : on y est donc toujours libre car cet avenir est compossible dans la mesure ou il est toujours à-venir. Terminator s’affirme comme le prototype d’une conception idéaliste du voyage dans le temps telle que Borges la conçoit. Conception qui s’effondre des que 1’on prétend saisir les implications temporelles logiques qui découlent d’une telle transmutation des différents moments du temps au gré de la volonté humaine, comme le note Alain critiquant La Machine à explorer le temps de H.-G. Wells :“ Cette fiction part d’une idée d’algèbre pure, d’après laquelle le temps est une autre dimension, de même genre que la longueur, la largeur et la profondeur […] II y a donc deux fictions en une. La première est celle de la Belle au bois dormant. Je reste cent ans ou mille ans sans vieillir ; alors, me réveillant, je vois l’avenir. Mais je ne puis revenir pour le raconter à ceux d’il y a mille ans qui sont restés sous la loi commune. La seconde fiction est que l’observateur qui a conduit la machine revient au temps d’où il est parti, retrouve ses amis, et retrouve 1’univers comme l’univers était au départ […] il faut donc qu’il existe en même temps des états de l’univers en des temps différents, ce qui ne va plus du tout. Je ne réfute pas ce roman, qui est beau, mais je tire un peu au clair, il me semble, cette condition du temps, qui est que toutes les choses le parcourent ensemble et du même pas” [Propos, 1923, repris dans Vigiles de l’esprit, Gallimard, 1947, p. 245–246].
frederic grolleau
Terminator 1
de James Cameron
Avec : Arnold Schwarzenegger, Michael Biehn, Linda Hamilton, Paul Winfield, Lance Henriksen, Rick Rossovich
Date de parution : 1 février 2004
Éditeur : PFE
Présentation : Snap Case
Format image : Cinémascope — 1.85:1 Full Screen (Standard) — 1.33:1
Zone et formats son : Zone : Zone 2 Langues et formats sonores : Français (Dolby Digital 5.1), Anglais (Dolby Digital 5.1)
Sous-titres : Français, Néerlandais, Anglais pour sourds et malentendants
Prix : 9, 00 €