Olivier Domerg, Onze tableaux sauvés du zoo

Le pay­sage du paysage

Bégayant le sublime de la mon­tagne Sainte-Victoire, réac­ti­vant la ques­tion de sa figu­ra­tion et de sa repré­sen­ta­tion, Oli­vier Domerg pro­pose ici le deuxième pan de sa tri­lo­gie consa­crée à cette mon­tagne selon une pro­blé­ma­tique envi­sagé déjà par Nico­las Pes­quès avec entre autres La face nord de Juliau, Cinq et La Face nord de Juliau Six (Edi­tions André Dimanche). C’est donc avec motif (et moti­va­tion) mais sans pein­ture que la mon­tagne est revi­si­tée en un pari exci­tant. Là où cha­cun pro­pose ses œuvres opi­niâtres mais déri­soires face à ce qui se dérobe. Car, se fai­sant des­sus les dents pic­tu­rales ou lit­té­raires, cha­cun se les casse dans la cre­vasse et la « cre­vance » ouverte par Cézanne.
Mais dans divers biais offerts par Domerg, ce qu’on per­çoit dans ses textes du pay­sage est moins un lieu que des formes d’écriture. Et comme bien des auteurs, le poète s’y essaie et devient même un par­nas­sien du nou­veau mil­lé­naire. Ce qui, après tout, ne mange pas de pain. Dès lors, va pour les poèmes en tri­angles rec­tangles ren­ver­sés (p. 58–60) ou l’élucubration volon­tai­re­ment appuyée de cer­tains sou­ve­rains pon­cifs qui se font les imi­ta­teurs « lour­dauds et sub­ju­gués » pour — du moins croient les imbé­ciles — faire sourdre du neuf de ce qui se pré­sente à eux sous forme de carte pos­tale ou de motif !

Par ses onze tableaux sau­vés de zoo et tirés de l’ « eau de prose », l’auteur ramène la mon­tagne sacrée moins à son mythe qu’à ce qui l’entoure — dont l’Autoroute A55 avec ses ram­bardes où un qui­dam a affi­ché trois ban­de­roles mar­quées d’un cri du cœur « je t’aime mon amour ». Bref, plu­tôt que de s’aliéner au réa­lisme mais sans pour autant jamais s’en détour­ner, Domerg fidèle à son humour, sa pers­pi­ca­cité et ses « condi­tions du même » force le cadre des tableaux. Il y impose la loi et le pouls de son écri­ture géo­lo­gique, géo­gra­phique, archéo­lo­gique et sur­tout poé­tique. Expé­rience “infi­nie” (aurait dit Blan­chot) et dont le motif cézan­nien per­met à l’auteur de deve­nir peintre à la pour­suite de l’écriture et écri­vain à celle de la pein­ture afin d’en retour­ner l’impact.
Dès lors, le but paraît “simple” : il s’agit non d’écrire « sur » mais « à par­tir » du lieu et de ques­tion­ner ce pay­sage qui peu à peu devient inté­rieur par le lan­gage. Il exprime des liens qui sortent du pay­sage pour s’interroger sur le pou­voir de la parole. Une telle ten­ta­tive revient à décrire et dé-crire non seule­ment “du” pay­sage mais un regard, une pen­sée. C’est une fila­ture qui, à par­tir d’un point géo­gra­phique, per­met bien des enquêtes filées pour sou­le­ver les images, et les rem­pla­cer par d’autres voies.

Le livre est donc un moyen de faire le point sur les che­mins de l’art, la notion même de pay­sage et d’exprimer com­ment écrire et peindre se croisent, se quittent, s’accompagnent. Com­ment cha­cun se sépare pour agir  côte à côte, mais aussi  de son côté.
Existent donc par onze tableaux, onze focales où la ques­tion du pay­sage se déplace vers les mots qui la disent et les yeux qui le lisent. De cette expé­rience “pic­tu­rale”, l’auteur tire l’exploration de la tra­ver­sée des écarts en essayant de savoir ce que tout lieu emporte avec lui de désir. Peu à peu, à Cézanne fait place un land art “scrip­tu­ro­gra­phique” où la mon­tagne devient femme. Elle est Vic­toire de la Sainte-Victoire pour, à tra­vers sa poudre de cal­caire, rou­ler l’homme dans la farine.

jean-paul gavard-perret

Oli­vier Domerg,  Onze tableaux sau­vés du zoo, Ate­lier de l’Agneau, coll. “Géo­poé­tique”,  St Quen­tin, de Caplong, 2018, 106 p. — 16,00 €.

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