Muriel Pic, Élégies documentaires

Muriel Pic : flux migratoires

Des falaises au sque­lette blanc de Rügen où Hit­ler voulu créer des camps de vacances pour les tra­vailleurs du Reich (de ceux-ci à ceux de concen­tra­tion les cops nus se res­semblent mais les uns sont vivants d’autres sont morts), en pas­sant pas l’instauration des pre­miers Kib­boutz et jusqu’à l’infiniment petit des don­nées radio­ac­tives, c’est bien l’ordre de la des­truc­tion qui semble régner ici en maître des forges.
En renouant avec un genre poé­tique par­ti­cu­lier reliant quête docu­men­taire et chant, Muriel Pic trouve dans ses recherches de quoi illus­trer son pro­cès. Elle passe de l’Histoire au par­ti­cu­lier pour reve­nir ensuite à une vision glo­bale. Il s’agit pour l’auteure de res­ter lucide mais — l’esprit de géo­mé­trie ne suf­fi­sant pas — elle actionne aussi celui de finesse. Un centre d’énergie se répand au-delà de l’étude et l’analyse selon une for­mule qui peut se conden­ser ainsi : « Ima­gi­na­tions mortes, ima­gi­nez encore le pire ».

Car c’est là où les choses com­mencent et finissent. Le livre se pré­sente comme celui d’une colère. Celle-ci « veut insuf­fler dans les pou­mons des puis­sants, la fine pous­sière meur­trière / qu’égrènent ceux qui ont beau­coup appris » même si chez Muriel Pic l’illusion n’est pas de mise. Pro­fes­seure, écri­vaine et pho­to­graphe, tra­duc­trice de Wal­ter Ben­ja­min, spé­cia­liste de W. G. Sebald, en liant l’archive à l’élégie comme la pous­sière aux étoiles, elle met à nu les illu­sions des uto­pies « archi­tec­tu­rales » quelle qu’en soit le but ou la nature.
Du rêve au désastre le pas n’est pas si loin. Chaque démiurge ima­gine à sa main sa com­mu­nauté humaine. « En Europe le calen­drier dit 1939 / En Pales­tine le calen­drier dit 1948 /les abeilles butinent des fleurs de fer. ». Ensuite, un chaos nucléaire suit son cours selon diverses déri­va­tions. Et si « Le ciel est un livre dont les récits se répètent », la terre est à l’identique. Dans les deux cas les com­prendre revient à devi­ner la destruction.

D’où le titre d’ « élé­gies » pour ce livre puis­sant et ses « del­tas d’émotion ». L’auteure prouve que toute struc­ture « conti­nue de construire des ruines » et ne fait qu’architecturer ce qui suit un cours « poli­tique, poé­tique, dar­wi­nien de vols, de viols, de rapts, de guerres et de mort ». En témoin gla­cée et lucide, M. Pic remet ce fer au feu pour appe­ler à la vigilance.

jean-paul gavard-perret

Muriel Pic,  Élé­gies docu­men­taires, édi­tions Macula, collec­tion « Opus incer­tum, 2018, 92 p.

Leave a Comment

Filed under Poésie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>