Stéphanie Quérité, L’hésitation

Ce qui n’a pas de « fin »

Stépha­nie Que­rité s’inscrit dans la droite ligne des voies ouvertes par Artaud. Pour preuve ces quelques lignes : « L’accumulation d’années de tra­ves­tis­se­ment fut balayée sous les yeux stu­pé­faits des lionnes exas­pé­rées. Je m’en allais là où tout était à sug­gé­rer. » Accep­tant tous les mal­en­ten­dus, la jeune créa­trice nous ouvre à son propre théâtre de la cruauté. Et ce n’est pas un hasard si elle cite la phrase de l’auteur de L’Ombilic des Limbes : « Là où d’autres pro­posent des œuvres je ne pré­tends pas autre chose que de mon­trer mon esprit. La vie est de brû­ler des ques­tions. Je ne conçois pas d’oeuvre comme déta­chée de la vie. » 
Dès lors, les ques­tions sont donc bien les fon­de­ments du tra­vail d’une créa­trice dont le nom  résonne avec le mot « vérité ».  Pas celles qui demeurent éva­si­ve­ment phi­lo­so­phiques : celles de la chair et qui, dans un texte lyrique aux innom­brables ques­tions, com­mencent par celles-ci : « Vous enten­dez ? Vous m’entendez ? Vous enten­dez ce que je dis ? Vous voyez, vous enten­dez ce que je veux dire ? Vous voyez ma bouche ? Vous l’entendez ? Est-ce que vous enten­dez ma bouche ? Et les mots qui sont dans ma bouche ? Vous enten­dez ma bouche, ou ce qui sort de ma bouche ? Qu’entendez-vous par là ? Quand vous regar­dez ma bouche, vous voyez ma bouche, toute ma bouche ou juste mes lèvres ? ».

L’auteure cherche l’émotion, la langue, l’autre scène de la langue où la poé­sie devient la puis­sance concur­rente à la pré­ten­due cohé­rence de la phi­lo­so­phie dont les mor­ceaux de bra­voure res­tent sou­vent logo­ma­chiques. Sté­pha­nie Qué­rité les rem­place par ses dérou­le­ments dra­ma­tiques et une théâ­tra­lité. Le livre devient le lieu de  l’entre-deux « où gisent les sirènes » dont les voix disent bien des pertes : celles de l’enfance et de ceux dont les bouts de peaux se perdent en che­min.
Le tout dans une tra­ver­sée « dans cette mer de soi pos­sible » mais dont le fond reste une igno­rance. D’où cette pêche (inter­dite ?) pour savoir à par­tir de quels mots et gestes la ren­contre avec soi et les autres devient pos­sible. Il s’agit de trou­ver ce lieu où l’auteure écrit « Je vois des mor­ceaux de chair jetés dans une gueule de loup. Et tout ce qui fait que ce loup là ne sera jamais le loup dit de nos bouches-mots-pensées étran­gers aux loups du vaste monde.» Ce qui d’ailleurs la pousse à un écart tant il est plus « facile d’aimer loin que d’aimer proche. »  

Mais reste encore à savoir qui dans l’écriture « parle ». Et recon­naître lorsque « ça » parle, de quel « je » ce « qui  ça » est le fruit.

jean-paul gavard-perret

Sté­pha­nie Qué­rité, L’hésitation, Edi­tions Marie Delarbre, coll. « Les car­nets du noc­tam­bule », Gri­gnan, 2018 — 21,00 €.

 

1 Comment

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One Response to Stéphanie Quérité, L’hésitation

  1. Stéphanie Q

    Bon­jour,
    Je me per­mets un retour sur votre article pour appor­ter quelques pré­ci­sions.
    L’extrait « Vous enten­dez ? Vous m’entendez ?…» n’est pas de moi mais de Cosima Wei­ter, et a été cité dans mon blog La pers­pec­tive de la pieuvre (https://laperspectivedelapieuvre.wordpress.com/). Quant à l’extrait « Je vois des mor­ceaux de chair jetés dans une gueule de loup…», il est bien de moi mais n’apparaît pas dans mon recueil. Il est extrait d’un texte qui s’appelle “Les dis­tances” et qui appa­raît lui aussi dans le blog sus­men­tionné. Enfin, pourriez-vous m’indiquer où je cite l’extrait de L’ombilic des Limbes d’Artaud? Il me semble qu’il n’apparaît pas non plus dans le recueil mais bien dans mon blog. Serait-il pos­sible que vous rec­ti­fiez les sources? Merci d’avance. Du reste, votre article est fort rou­gis­sant à lire. Merci pour cela aussi. Cha­leu­reu­se­ment, SQ

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