Reynald Secher, Vendée — Du génocide au mémoricide. Mécanique d’un crime légal contre l’humanité

Le géno­cide ven­déen, preuves à l’appui

Il y a eu, en France, pen­dant la Révo­lu­tion, un crime ter­rible. Un géno­cide. C’est ce que ne cesse de vou­loir démon­trer Rey­nald Secher, depuis sa thèse sou­te­nue en 1985 et publiée sous le titre de La Vendée-Vengée. Le géno­cide franco-français. Ce tra­vail remar­quable qui fait hon­neur à l’Ecole his­to­rique fran­çaise, Secher le paiera de sa car­rière uni­ver­si­taire, « mas­sa­crée par les néo-robespierristes », pour reprendre la belle for­mule de Sté­phane Cour­tois.
Son nou­veau livre n’est pas une reprise de ses tra­vaux anté­rieurs, et ce pour deux rai­sons : par les nou­velles preuves archi­vis­tiques appor­tées et par le concept de mémo­ri­cide dont il est l’auteur.

La Répu­blique, à tra­vers son gou­ver­ne­ment de l’époque (la Conven­tion et le Comité de Salut Public), a donc mis en œuvre une véri­table exter­mi­na­tion des Ven­déens, qui relève de tous les cri­tères défi­nis­sant un géno­cide. La démons­tra­tion de Secher est impla­cable. Ce crime abo­mi­nable trouve son ori­gine dans l’idéologie révo­lu­tion­naire, celle de « l’Utopie nive­leuse » (Jean-Noël Bré­geon), celle de la créa­tion d’un Homme nou­veau — le répu­bli­cain ver­tueux — né sur les ruines de l’ancien, écrasé avec son monde ver­moulu. Il trouve sa dyna­mique dans les lois du 1er août et du 1er octobre 1793, les­quelles le trans­forment en entre­prise légale et éta­tique. Il ne faut jamais ces­ser de le dire, les décrets d’extermination sont pris par la Conven­tion alors que l’insurrection est en plein reflux. La thèse des cir­cons­tances jus­ti­fi­ca­trices ne tient pas un instant.

Toute­fois, le rôle du Comité de Salut Public, et de ses membres, dont le rous­seauiste Robes­pierre, res­tait sujet à cau­tion. Rey­nald Secher, avec la joie que connaît le cher­cheur trou­vant la pièce man­quante du puzzle, apporte une réponse indu­bi­table. Le Comité est bel et bien res­pon­sable d’un plan d’extermination, comme le prouvent les ins­truc­tions envoyées à ses repré­sen­tants et aux offi­ciers sur place. « Un géno­cide par ‘petits bouts de papiers’ » selon Secher. Ces textes, signés par Robes­pierre, Billaud-Varennes, Barère, ordonnent de pur­ger le sol de la liberté des Ven­déens, et emploient sans cesse l’expression d’extermination. Le crime vient d’un haut, décidé par les res­pon­sables poli­tiques. Car­rier et Tur­reau ne sont que des exé­cu­tants zélés.
A par­tir de ce moment, le géno­cide est impla­cable. Tous les Ven­déens doivent dis­pa­raître. Cette terre doit être pur­gée des « bri­gands », terme géné­rique qui désigne toute la popu­la­tion. L’extermination se déroule en trois phases (indus­trielle, arti­sa­nale puis avec les colonnes de Tur­reau), aux­quelles per­sonne n’échappe, ni les femmes, mères de futurs « bri­gands », ni les enfants, anéan­tis dans des mas­sacres dont les des­crip­tions sont pro­pre­ment insupportables.

On n’en fini­rait pas de réci­ter la lita­nie des aveux des bour­reaux tel­le­ment fiers de leurs crimes, tel­le­ment cer­tains d’agir pour le Bien, qu’ils les ont écrits. Et pour­tant, bien des docu­ments ont dis­paru, alors que dans le même temps, l’éradication de l’élite ven­déenne limi­tait les témoi­gnages écrits. Il n’empêche. Comme l’écrit le géné­ral Wes­ter­mann, après la bataille de Save­nay : « Sui­vant les ordres que vous m’avez don­nés, j’ai écrasé les enfants sous les pieds des che­vaux, mas­sa­cré les femmes qui, au moins, n’enfanteront plus de bri­gands. Je n’ai pas un pri­son­nier à me repro­cher. J’ai tout exter­miné. »
Le géno­cide ven­déen est suivi par un autre crime per­pé­tré, celui-là, contre sa mémoire, ce que Secher appelle un mémo­ri­cide. S’appuyant sur des com­pa­rai­sons avec les géno­cides armé­nien et juif, qui trouvent leur ori­gine dans celui des Ven­déens, il en retrace les étapes, depuis les Conven­tion­nels jusqu’aux uni­ver­si­taires néga­tion­nistes, habiles à repré­sen­ter la répres­sion comme une mani­fes­ta­tion des affres d’une guerre civile pour­tant ter­mi­née. Il est vrai que la situa­tion de 1794 est dif­fé­rente de celle de 1945 : les bour­reaux sont les vain­queurs, les vic­times les vain­cus. Entre néga­tion et culpa­bi­li­sa­tion, les Ven­déens, pour beau­coup, n’ont pas la conscience exacte de l’ampleur du crime qu’ils ont subi.

Secher appelle donc, à la fin de l’ouvrage, à une recon­nais­sance du géno­cide par la Répu­blique actuelle qui, selon lui, n’en sera que plus cré­dible pour dénon­cer les géno­cides com­mis ailleurs. Mais, là, il se trompe. Car la Répu­blique fran­çaise per­dra sa cré­di­bi­lité. Et c’est bien cela qui est insup­por­table pour nos élites impré­gnées du mythe révo­lu­tion­naire. Ce livre est bou­le­ver­sant. On sent l’auteur habité par son sujet. Trop, pour­raient dire cer­tains. Mais qui ose­rait repro­cher à un des­cen­dant de géno­cidé armé­nien ou juif de l’être ?
Contrai­re­ment à ce qu’affirmeront ses détrac­teurs, le tra­vail de Secher répond à tous les cri­tères de la science his­to­rique. A moins bien sûr de consi­dé­rer que le mot « exter­mi­na­tion », écrit dans un docu­ment offi­ciel, n’a pas le même sens sous la plume d’un membre du Comité de Salut Public et sous celle d’un diri­geant nazi.

Cet ouvrage sera-t-il suf­fi­sant pour faire prendre conscience aux Fran­çais que la Répu­blique est née dans le sang et que la Révo­lu­tion est géno­ci­daire ? Pour remettre en cause le pres­tige révo­lu­tion­naire, l’indulgence avec laquelle les crimes révo­lu­tion­naires sont jugés ? Pour arrê­ter le flot de men­songes déver­sés sur les élèves et les étu­diants fran­çais qui ignorent qu’à Angers et à Meu­don on tan­nait la peau des Ven­déens pour en faire des bottes ? On aime­rait le croire.
Car ceux qui ont com­mis ce géno­cide ne sont pas des fous. Ce sont des révolutionnaires.

fre­de­ric  le moal

Rey­nald Secher, Ven­dée — Du géno­cide au mémo­ri­cide. Méca­nique d’un crime légal contre l’humanité, Le Cerf, octobre 2011, 442 p. — 24,00 €.

 

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