Toute vérité est une construction
Entre rêveries et instantanés – mais chez lui c’est un peu la même chose –, Lambert Schlechter poursuit ses dérives. Si bien qu’entre le visible et l’énonçable la vérité est plus complexe que les apparences le laissent croire. L’évidence se nimbe de couches sédimentaires faites de mots et de silence qu’ils contribuent à fracturer. Il y a là des joies et bien des douleurs aussi. Mais n’existe plus de ligne précise de démarcation entre ce qui est et ce qui se pense. Et même le mot fichu dans son ambiguïté n’est pas toujours le parangon capable de résoudre la problématique de ce conte qu’est la réalité.
Schlechter démontre et illustre combien toute vérité est une construction. Chaque moment est donc bien plus qu’un objet spatial et temporel. Il est produit dans l’extension des choses ou des situations vues et voire pensées comme contradictoires d’autant qu’aux épisodes douloureux (pudiquement évoqués) se mêle une fantaisie pimentée de référence littéraires.
L’anamnèse prend la forme d’une dialectique matérielle. Et chaque fragment (108 au total) s’érige comme le résultat d’une fouille, d’un creusement mais aussi d’un assemblage et d’une mise au vent par prise d’air. L’auteur crée ainsi l’embrassement intime d’une contre-forme, d’un conte formel afin d’approfondir le réel en fouillant dans la mémoire de sa propre chair, de sa propre pensée, de descendre dans son cerveau d’où surgit une pensée tactile, incarnée.
Le texte ne deviendrait-il pas alors et tout compte fait le lieu où nous sommes enfin capables de toucher la pensée même si toucher n’est pas saisir, ni posséder et encore moins maîtriser ?
jean-paul gavard-perret
Lambert Schlechter, Une mite sous la semelle du Titien, Editions Tinbad, Tinbad Poésie, Paris, 2018, 120 p. — 16,00 €. Sortie le 5 mai 2018.
Excellentissime ! cher JPGP.