Frank Le Gall, Le dernier voyage de l’Amok

Epopée tra­gique

Dans ce trei­zième tome des aven­tures de Théo­dore Pous­sin, nous sommes loin de la Cochin­chine et du vrai père du héros. Le pous­sin est devenu d’abord pou­let. Il rêva un temps d’amour voire de vie bour­geoise dans une île de coco­tiers. Mais le héros n’est pas un trans­pa­rent Tin­tin et le voici tenté par des actions peu recom­man­dables et en rien homo­gènes (mais c’est volon­taire) d’un tome à l’autre.
L’auteur ne cesse d’aborder les choses sous divers angles si bien qu’aucun album ne res­semble au pré­cé­dent. Pas de conti­nuité nar­ra­tive voire dans le des­sin lui-même, même si le per­son­nage per­siste. De la ligne claire et sty­li­sée, l’auteur revient au centre du détail, de la hachure avec des rup­tures à l’intérieur même de son esthé­tique. Le Gall a en effet hor­reur d’un style continu, il évo­lue — tout en pre­nant son temps et sans se limi­ter à une seule facture.

L’Amok est venu du roman de Ste­fan Zweig. Il per­met le retour en Malai­sie pour une épo­pée qui, de la drô­le­rie, vire à un cer­tain tra­gique. Mais on est plu­tôt chez Ste­ven­son et Mac Orland. Avec bas-fonds de Sin­ga­pour où Théo­dore Pous­sin, quit­tant son île, revient pour  vivre aux limites de la loi comme les com­parses des milieux  troubles qu’il côtoie de gré ou de force. Le voici un temps en gue­nilles et sans le sous. Mais tou­jours  imper­tur­bable : jeté par une porte, il rentre par la fenêtre. Et auprès d’une tra­fi­quante d’armes il apprend — au « détri­ment » de la ven­geance — le par­don. Celui-ci mul­ti­plie l’existence plu­tôt que de la refermer.

Autour du héros, les seconds rôles sont très impor­tants : il y a là un tueur bla­fard (un Bowie période ber­li­noise) et un colosse malais, boule de vio­lence et de bonté pro­tec­trice. Mais tout est astu­cieu­se­ment lit­té­raire et par­fai­te­ment gra­phique à coup d’encre et de pein­ture entre autres, dans une grande séance de nuit moins sombre que ce qui se fait habi­tuel­le­ment en B.D.
Quant aux lec­teurs, ils res­tent  tou­jours aux prises à des inter­ro­ga­tions sur les moti­va­tions des pro­ta­go­nistes. Si bien que ce der­nier voyage n’est que celui de l’Amok mais en rien celui de Pous­sin. Il va encore nous sur­prendre. Atten­dons la suite.

jean-paul gavard-perret

Frank Le Gall, Le der­nier voyage de l’Amok, tome 13, édi­tions Dar­gaud, 2018, 64 p.

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