Barcarock and roll du passé lointain
Le roman de Bellet est sous-titré « Tragique pastorale ». Cela est vrai. Mais qu’en partie. Cette définition fait disparaître une finalité non secondaire du texte : l’érotisme. L’érudit romancier ne rate pas l’occasion de s’y livrer dans son fabliau cruel d’une aube du XVIème siècle agité mais roboratif et joyeux.
Tout pourtant commence sous les hospices du sérieux sur les traces du peintre Hans Holbein au moment où des jeunes gens aux dents longues se partagent l’occident chrétien mais menacé par les janissaires turcs. Il y a là le sultan Soliman le Magnifique, François Ier qui devient son allié au grand dam d’Henri VIII et Charles Quint. Tous ont moins de trente ans. Ce qui ferait passer Macron pour un vieillard… Leurs querelles et guerres vont modeler l’Europe. Mais un autre « apôtre » veille : le moinillon Martin Luther. Il met en difficulté l’Église romaine et donne l’espoir aux paysans alsaciens et allemands qui découvrent, grâce à lui, que le servage et les corvées excessives ne figurent pas dans l’Évangile. C c’est le début d’un épisode méconnu : la Guerre des Paysans baptisée la “Révolte des rustauds”. Elle fera cent mille morts.
Au même moment à Bâle, le jeune Jean Jambecreuse, peintre reconnu, patronné par Érasme et bourgeois très apprécié des dames, découvre les aléas de la vie en un siècle de paillardise et de fureur, à la charnière du Moyen Âge qui meurt et la Renaissance qui a du mal à naître. Ce Jean Jambecreuse est inspiré du peintre Hans Holbein. Les éléments connus de sa biographie sont scrupuleusement respectés. Mais, demeurant parcimonieux, ils permettent à Bellet de s’en donner à cœur et surtout corps joie. Entre saga picaresque et fabliau, un monde et son langage se distordent. Et le temps n’est pas encore venu où le classicisme allait mettre de l’ordre dans la syntaxe et les voluptés.
D’où l’aspect « panique » d’un tel roman. Les transcendants satrapes passent à la trappe et le mystère de la foi aussi. L’auteur ne se contente pas de la présence de Dieu. Les apparitions sont d’un autre ordre. Et les lecteurs évangélistes seront scandalisés. Et non seulement parce que Marie-Madeleine avait dépensé 300 deniers pour parfumer Jésus. La vie du héros n’est pas plus édifiante que celle de la Sainte. Elle est de bric et de broc, réduite en miettes.
Existent par exemple dans la traversée des Alpes des continents incandescents en des océans de neige. Sans autre viatique que la bagatelle au milieu des massacres le héros de l’éros se complaît souvent dans l’excitation, le désir et la jouissance. Et Bellet prouve que l’emboîtement de deux sexes rend incertaine la figure de deux amants qui s’étreignent. Le problème n’est jamais simple, d’autant que ceux-là se déforment afin de créer une lettre énigmatique, en amont de toutes les autres.
Il s’agit sans doute du A premier. Celui de l’amour vénal — qui est entouré de ses jambages comme un noyau de ses satellites dans un ciel à la « Coper…nique».
jean-paul gavard-perret
Harry Bellet, Les Aventures extravagantes de Jean Jambecreuse au temps de la révolte des rustauds, Acte Sud, 2018.