On lira avec une très grande attention la biographie que Jérôme Fehrenbach consacre à la plus grande figure de l’épiscopat allemand de la période nazie et grand opposant à l’idéologie démoniaque du Troisième Reich, l’évêque de Münster Clemens August von Galen.
Issu d’une antique lignée aristocratique, von Galen en conserva toute sa vie la fierté, l’allure seigneuriale sans morgue et surtout le sens du devoir qui incombe à ceux qui ont beaucoup reçu. Le catholicisme ardent et ultramontain de ses parents le marqua en profondeur, autant que le souvenir des attaques anticatholiques du pouvoir bismarckien (le Kulturkampf). Il en hérita une profonde méfiance à l’encontre de l’Etat, qu’il fût monarchique ou républicain. Patriote sans être belliciste ou nationaliste et ni pacifiste d’ailleurs, il aimait son pays et son peuple qu’il protégea contre le communisme, le nazisme ou l’occupant américain en 1945. Géant par la taille mais aussi par le caractère, il n’était pourtant guère charismatique. Il n’empêche. Devenu évêque de Münster dans le cadre récent du concordat signé entre Berlin et le Vatican, il entra dans une guerre implacable contre le nazisme.
Il la livra uniquement sur le plan doctrinal, n’appelant jamais à la résistance ouverte, à la désobéissance ou au soulèvement. Ainsi prononça-t-il le serment d’obéissance au gouvernement exigé par le concordat mais en le subordonnant à son obéissance totale au siège de Pierre et au respect de sa conscience. Mais il parla. Ses sermons, à la fois simples, accessibles et profonds, servirent de détonateur pour beaucoup d’Allemands révulsés par l’idéologie nazie définie avec justesse par von Galen comme un néopaganisme déterminé à purger l’Allemagne de son christianisme.
Ses mots furent lancés dans les églises de la très catholique Westphalie, reproduits dans des publications et repris dans sa correspondance avec les autorités du Reich. Von Galen semblait ne craindre personne, pas même Hitler auquel il écrivit directement.
A Rome, ni Pie XI ni Pacelli ne s’étaient trompés sur lui et ils l’associèrent à la rédaction de l’encyclique de condamnation du national-socialisme, Mit brennender Sorge. Pendant la guerre, il approuva la guerre contre l’URSS par rejet du communisme qu’il renvoyait dos à dos avec le nazisme. Comme deux faces d’une même médaille. Mais il ne cessa de prier pour la paix, sans jeter d’anathèmes sur l’ennemi, toujours désigné sous le terme d’adversaire.
Sans relâche, il dénonça les innombrables atteintes au concordat, la fermeture des monastères, des écoles religieuses, l’embrigadement des enfants arrachés à l’éducation de leurs parents, l’interdiction de l’enseignement de la religion. Son plus grand titre de gloire fut sa condamnation explicite du plan d’élimination des handicapés (le fameux programme T4 que les nazis appelaient… « La mort miséricordieuse » !). Il le fit dans des mots d’une puissante actualité : « Si l’on admet une première fois que des hommes ont le droit de tuer leurs semblables improductifs et si cela concerne maintenant tout d’abord seulement de pauvres malades mentaux sans défense, alors une entière autorisation est accordée pour le meurtre de tous les improductifs. » L’évêque prévenait sans ambiguïté que la liste des éliminés ne cesserait plus de s’élargir. « Alors plus personne parmi nous n’est assuré de la vie […] Qui peut dans ces conditions avoir encore confiance dans son médecin ? »
L’attaque était frontale. On écrit souvent qu’elle contraignit les nazis à suspendre leur œuvre de mort. Ce n’est qu’en partie exact. Jérôme Fehrenbach écrit qu’il « ne faut pas se méprendre, ni prêter une quelconque efficacité aux sermons du Lion de Münster ». La reculade de Hitler s’explique par la guerre en Russie qui demandait des soldats dociles, et d’ailleurs l’élimination reprit au bout de quelques mois. En vérité, ceux qui imaginent que la parole d’un évêque, fût-ce celle de l’évêque de Rome, aurait permis d’arrêter la machine de mort hitlérienne ne savent pas qui étaient les nazis. Au Vatican en revanche, on le savait.
La biographie se penche aussi sur la question de la persécution des juifs allemands. Le silence de von Galen lui est vivement reproché aujourd’hui – à lui aussi ! – par ceux qui ne savent pas non plus ce qu’était le poids des responsabilités lors d’une guerre mondiale. Jérôme Fehrenbach apporte sur ce point des éléments très clairs. Eloigné de tout antisémitisme, l’évêque se tut d’une part sur la demande de la communauté juive allemande peu désireuse d’attirer l’attention sur elle et d’aggraver sa situation, et d’autre part parce qu’il jugeait l’action souterraine beaucoup plus efficace pour sauver ces malheureux persécutés. Comme le pensait et le fit Pie XII qui le créa cardinal en 1946. Comme le pensait et le fit l’épiscopat français.
Que retenir de cette action et de ce très utile ouvrage ? Von Galen, avec un courage inouï – sans aucun doute la défaite du nazisme le sauva – cria la vérité. La Vérité de l’Evangile. Celle qui rend libre. Prêt à subir le martyr, il parla certes mais de très nombreuses personnes proches de lui payèrent de leur liberté ou de leur vie l’engagement de l’évêque.
On ne parle jamais innocemment dans un Etat totalitaire. Enfin, son exemple devrait inspirer bien des évêques de notre temps qui ne sont pas confrontés au nazisme mais à une identique idéologie de mort.f
frederic le moal
Jérôme Fehrenbach, Von Galen, un évêque contre Hitler, Cerf, février 2018, 417 p. — 26,00 €.
Encore un ouvrage sur le nazisme qui parle peu de Hitler et pas du tout de ses redoutables qualités de manipulateur. A traiter, donc, comme une banque de données, certes très précieuse. L’analyse reste en plan !
Monsieur,
Je voudrais vous faire connaître le Père Bernhard Lichtenberg qui fut prévôt de la Cathédrale de Berlin pendant l’Allemagne nazie. Considéré par le régime comme “agitateur”, il fut emprisonné pendant deux ans, puis mourut sur le chemin du camp de Dachau. Béatifié et canonisé par Jean-Paul II, il fut célébré comme Juste parmi les Nations par Yad Vashem. Il s’engagea sur le plan politique dans le parti du Zentrum, le plus grand parti des catholiques allemands qui représentait alors la seule forme d’opposition valable du côté de l’Eglise. Ce parti fut obligé de se saborder. S’adresser aux hauts responsables nazis n’effrayait pas le Père Lichtenberg. et son engagement fut entier contre les stérilisations forcées, l’Aktion T4, pour les pauvres et envers les Juifs qu’il défendit en chaire, donc publiquement, et demanda à ses fidèles de protéger. Dénoncé, arrêté puis emprisonné comme “irrécupérable”, il pria pour qu’on l’envoie dans un camp soutenir ses frères et soeurs juifs, ce qui lui fut refusé. 4000 personnes vinrent à son enterrement, bravant les autorités. Des pèlerinages sont organisés chaque année vers sa Cathédrale. Toute la documentation le concernant sont aux archives du Diocèse de Berlin. Deux très bons livres ont été écrits sur lui : celui de Brenda Gaydosh, excellent, paru en 2017, première étude en anglais, et celui du Père Jésuite O.Ogiermann, en italien et en allemand, plus ancien mais très bien documenté aussi et très attachant. En face de cet engagement, je reçois assez mal la nomination au titre de cardinal de Monsieur von Galen et son manque d’humilité. Un ami du Père B. Lichtenberg, l’évêque von Preyssing, essaya de convaincre Pie XII d’agir en faveur de sa libération, sans succès. Le pape lui fit adresser une lettre le remerciant de son combat pour protéger les “non-aryens”.