Une ode à l’impétuosité de l’imagination face aux condamnations
Un homme lit, assis de ¾ profil à une table installée sur un plateau circulaire. Autour de lui se dressent de grands miroirs – évocations éloquentes de la Galerie des glaces, lieu d’apparats et d’intrigues et d’un palais des glaces, attraction foraine conçue pour faire perdre ses repères et se méprendre sur les apparences. Nous y sommes. Cet ingénieux dispositif scénique ne fait pas que nous situer dans une époque et ses turpitudes – la nôtre, celle de la Cour du Roi, de la Révolution Française ; il soutient la teneur du propos et permet d’alterner bon train les tableaux : on passe d’une cellule au bureau du directeur, à un espace ouvert.
Le jeu de l’obscurité, des éclairages et de la réflexion des lumières prend l’aspect d’une lutte de forces qui ne se contrôlent pas elles-mêmes. Il s’agit de la détention du Marquis de Sade à Charenton — ou plutôt, un Marquis de Sade recomposé par l’auteur, incarcéré dans un établissement pour aliénés. Le traitement dont il fera l’objet devrait permettre de rendre son comportement, si ce n’est sa pensée, plus conformes à l’ordre social.
L’objet de la pièce est la censure, sa difficulté, l’inefficacité de son entreprise, la vigueur de la créativité, qui par essence lui échappe. Une fantaisie sur la captivité de l’écrivain, qui se joue de son encasernement, comme des règles morales, comme des invectives qui lui sont adressées selon diverses modalités : par le bienveillant réformateur de Charenton qui veut expérimenter une thérapeutique novatrice, par le sévère censeur cherchant à corriger ses errements, par sa femme cherchant par tiers interposé à protéger sa dignité, par ses maîtresses voulant échapper à son avidité.
Un conte salace sur l’irrépressible pulsion érotique, sur la puissance du désir, une fantasmagorie où se marient humour noir et poésie de la chair ; une ode à l’impétuosité de l’imagination face aux condamnations.
Les sanctions sont poussées à leurs extrêmes, à force de vouloir couper tout ce qui dépasse, agrippe et se dresse : le sexe, le verbe, les mains. La moralité et la censure ne font finalement, dans autant de manœuvres contre-intuitives, que décupler la puissance du désir du Marquis et le mener à la fabrication de voies d’expulsion plus condamnables que les comportements qu’elles prétendaient dompter. Robert Lepage et Jean-Pierre Cloutier s’en donnent à cœur joie. Ils nous promènent avec aisance et jubilation dans un univers baroque illustrant avec brio la liberté des écrivains contre les mauvais devins.
La mise en scène assumée, l’interprétation juste et déliée sont au service d’une essentielle proposition de réfléchir sur la fulgurance du désir, de penser son œuvre souterraine dans le changement des mentalités et des institutions. Robert Lepage s’offre sans réserve et se glisse tout entier consentant dans la peau de ce Sade joueur et maléfique, sans jamais se départir de sa pudeur et son libre arbitre – le summum de l’élégance.
christophe giolito & manon pouliot
Quills
de Doug Wright
mise en scène et espace scénique Jean-Pierre Cloutier, Robert Lepage
Avec : Pierre-Yves Cardinal, Érika Gagnon, Pierre-Olivier Grondin, Pierre Lebeau, Robert Lepage, Mary-Lee Picknell
© Stéphane Bourgeois
Traduction Jean-Pierre Cloutier ; assistance à la mise en scène Adèle Saint-Amand ; lumières Lucie Bazzo ; environnement sonore Antoine Bédard ; costumes Sébastien Dionne ; collaboration à la scénographie Christian Fontaine ; accessoires Sylvie Courbron ; perruques Richard Hansen ; maquillages Gabrielle Brulotte ; direction de production Marie-Pierre Gagné ; adjointe à la production et direction de tournée Véronique St-Jacques ; direction technique Catherine Guay, Paul Bourque ; direction technique-tournée Catherine Guay ; régie générale Francis Beaulieu ; régie son Stanislas Élie ; régie lumières François Ferland Bilodeau ; régie costumes et accessoires Katia Talbot ; chef machiniste Anne-Marie Bureau ; machiniste Sylvain Béland ; consultant technique Tobie Horswill ; réalisation du décor Astuce décors, Conception Alain Gagné, Scène Éthique ; réalisation costumes par Apparat confection créative & Sébastien Dionne ; agent de Robert Lepage Lynda Beaulieu.
A La Colline, théâtre national, 15 Rue Malte Brun, 75020 Paris du 6 au 18 février 2018
du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30
spectacle à partir de 16 ans Grand Théâtre durée 2h20
http://www.colline.fr/fr/spectacle/quills 01 44 62 52 52
Production Ex Machina coproduction Le Théâtre du Trident — Québec, Les Nuits de Fourvière — Lyon, La Colline — théâtre national producteur pour Ex Machina Michel Bernatchez (assisté de Vanessa Landry-Claverie) production déléguée Europe et Japon - Epidemic (Richard Castelli, assisté de Chara Skiadelli, Florence Berthaud et Claire Dugot) production déléguée Amériques, Asie (sauf Japon) Océanie — Menno Plukker Theatre Agent (Menno Plukker, assisté de Magdalena Marszalek et Isaïe Richard)
Produit à l’origine par le New York Theater Workshop (1995) / Jim Nicola, direction artistique / Nancy Kassak Diekmann, direction générale
Jean-Pierre Cloutier tient à remercier tout particulièrement Anthony Brien.
Merci également à Karine P. Boulianne, Benjamin Déziel, Anne-Marie Cadieux, Christian Garon, Michel Nadeau, Sébastien Dorval, Pierre Cloutier, Dominique Rivard, Claire-Alexie Turcot, Emanuel Zetino et aux employés d’Ex Machina et de Robert Lepage Inc.Antoine Bédard tient à remercier tout particulièrement Xavier Brossard-Ménard (direction et arrangements vocaux), François Zeitouni (orgue), Stéphanie Pothier (voix mezzo-soprano), la Chorale de Saint-Lambert et Dominique Éthier.
Le spectacle est encore en tournée au Canada.