Mathieu Sapin, Gérard

Tel quel

Mathieu Sapin renoue avec une vieille lune du 9ème art : la bande des­si­née édi­fiante. Elle connut son apo­gée après la seconde guère mon­diale où, grâce à une loi scé­lé­rate, elle fut aux mains de la bien-pensance de deux reli­gions : le com­mu­nisme et le catho­li­cisme. Et il fal­lut attendre mai 68 pour que les portes s’ouvrent véri­ta­ble­ment. La B.D. osa véri­ta­ble­ment l’insolence, la trans­gres­sion. L’auteur de Gérard évite néan­moins le retour à un funeste pen­sant à l’expression hagio­gra­phique par son sujet : Gérard Depar­dieu. Le héros lui-même devient le plus sûr garant à l’écueil d’un exer­cice d’absolue sain­teté. Il oblige en quelque sorte l’auteur de sa « bio­gra­phie » à des pas de côté.
Depar­dieu pié­tine les plates bandes des­si­nées par sa voca­tion natu­relle à l’absence de pré­séances. A son corps défen­dant, Mathieu est poussé à l’inconduite par l’objet même de son admi­ra­tion qui, et en consé­quence, lui sauve la mise. L’affectivité débor­dante de l’auteur est elle-même ren­ver­sée par les exer­cices d’inconduite de son héros.

Le des­sin est quel­conque mais les anec­dotes sont plus que piquantes. « Le gros boud­dha vivant » (comme il se défi­nit lui-même) est tel qu’en lui-même. Et le comé­dien de racon­ter — par exemple — ses ren­contres avec Mit­ter­rand sor­tant de chez sa maî­tresse ou son arri­vée chez Duras qui lui « filait un pin­ceau et un pin­ceau pour qu’il repeigne ses chambres de bonne ». Le comé­dien y livre ses secrets d’acteur : « Tu te docu­men­tais pour appré­hen­der tous ces rôles ? » ,ce à quoi Depar­dieu répond « Pour­quoi faire ? ».
Il fait adop­ter à celui qui le suit pen­dant cinq ans un régime propre à en tuer plus d’un. Le héros est drôle et tou­chant. Si bien que Mathieu par­vient à don­ner moins juste une image qu’une image juste de celui qui semble pas­ser une grande par­tie sa vie au télé­phone pour régler, même entre deux prises, mille et un détails. Il est tel qu’il est, libre avec juste assez d’attention pour celui qui l’accompagne et se tient tant bien que mal dans son sillage.

Rien chez Depar­dieu de convenu, de conve­nable, de conven­tion­nel — jusqu’à son ode à sa mère lorsqu’il croise un trou­peau de vaches. Et Mathieu garde le mérite des sou­li­gner l’extravagance, l’irrévérence, la déri­sion, ce qui peut être pris aussi comme l’absurde débridé et l’inventivité lou­foque natu­rel­le­ment pro­vo­ca­trice d’un per­son­nage sacri­pant et par­fois homme d’affaires (qu’il traite en affaires d’hommes).
Si bien que ce livre, en dépit de ses défauts gra­phiques (sauvé par les der­niers cro­quis pré­pa­ra­toires), offre bien des détails sur le quo­ti­dien d’un héros qua­si­ment dadaïste en sa géné­ro­sité, son tra­vail et ses extravagances.

jean-paul gavard-perret

Mathieu Sapin,  Gérard — cinq années dans les pattes de Depar­dieu, Dar­gaud, 2017, 164 p.

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