Récapitulatif en guise d’espoir
Centre est un subtil jeu de variations dont Sollers a le secret depuis toujours. Entre autres depuis Paradis, chef-d’œuvre joycien de l’auteur qui le conduisit déjà au centre de l’écriture. Mais l’auteur a néanmoins su faire barrage, sérier les problèmes afin de distribuer ses fictions en divers pans. Car Sollers est un athlète esthète malin qui joue désormais avec ses fondamentaux et ses acquis. Toujours avec une certaine grâce. Au fil du temps, elle devient surannée mais demeure plaisante. Et c’est un euphémisme.
L’auteur fait de l’intelligence un jeu même lorsqu’il feint un certain silence : « Tout est d’un calme si extraordinaire que je n’ai plus rien à comprendre. Quelques phrases d’autrefois traînent encore, mais ne s’inscrivent pas, ma main les refuse. La seule vraie couleur est le blanc ». Il n’empêche que le noir de l’écriture reste une couleur prégnante.
Dans le magma et l’horreur du monde contemporain l’auteur a de plus en plus de mal à se faire une raison et ne donne plus de leçons (tant il est vrai que son épisode maoïste lui a servi de leçons). Face à ses doutes, Sollers en appelle à Freud et Lacan : « Un juif athée, un catholique baroque, deux aventuriers de la vérité vraie » et sous la présence de Nora (référence joycienne) sous laquelle se cache une compagne célèbre et récemment accusée insidieusement. Elle reste son ange protecteur et bienveillant qui lui parle mais « qui sait se taire quand il faut ».
A partir de là, Sollers peut se livrer à des digressions intempestives avec la fantaisie qu’on lui connaît. Se croisent Copernic, Montaigne, Spinoza et bien d’autres encore qui donnent des coups décisifs aux manières d’envisager le monde. L’auteur s’amuse, se moque de lui. Mais sait aussi prendre des virages serrés pour quitter références et déambulations livresques afin de glisser, après diverses saillies, vers des admirations plus littérales pour évoquer comme il se doit la Seine, la Garonne et bien sûr Venise. Celle des marins mais surtout des esthètes de tout genre.
Manière pour l’auteur de rappeler que — en dépit de ses doutes — une certaine béatitude garde tout son sens. Même ou parce que Sollers sent l’arrivée du temps où il s’agit de se préparer « à être savouré par le néant ». Car si « Dieu est italien », l’appel d’air passe par d’autres voies que celles des béatitudes éternelles. Sinon celles de l’art, de la musique et de la littérature ?
jean-paul gavard-perret
Philippe Sollers, Centre, Gallimard, coll. Blanche,Paris, 2018, 128 p. — 12,50 €.