Philippe Sollers, Centre

Réca­pi­tu­la­tif en guise d’espoir

Centre  est un sub­til jeu de varia­tions dont Sol­lers a le secret depuis tou­jours. Entre autres depuis  Para­dis, chef-d’œuvre joy­cien de l’auteur qui le condui­sit déjà au centre de l’écriture. Mais l’auteur a néan­moins su faire bar­rage, sérier les pro­blèmes afin de dis­tri­buer ses fic­tions en divers pans. Car Sol­lers est un ath­lète esthète malin qui joue désor­mais avec ses fon­da­men­taux et ses acquis. Tou­jours avec une cer­taine grâce. Au fil du temps, elle devient sur­an­née mais demeure plai­sante. Et c’est un euphé­misme.
L’auteur fait de l’intelligence un jeu même lorsqu’il feint un cer­tain silence : « Tout est d’un calme si extra­or­di­naire que je n’ai plus rien à com­prendre. Quelques phrases d’autrefois traînent encore, mais ne s’inscrivent pas, ma main les refuse. La seule vraie cou­leur est le blanc ». Il n’empêche que le noir de l’écriture reste une cou­leur prégnante.

Dans le magma et l’horreur du monde contem­po­rain l’auteur a de plus en plus de mal à se faire une rai­son et ne donne plus de leçons (tant il est vrai que son épi­sode maoïste lui a servi de leçons). Face à ses doutes, Sol­lers en appelle à Freud et Lacan : « Un juif athée, un catho­lique baroque, deux aven­tu­riers de la vérité vraie » et sous la pré­sence de Nora (réfé­rence joy­cienne) sous laquelle se cache une com­pagne célèbre et récem­ment accu­sée insi­dieu­se­ment. Elle reste son ange pro­tec­teur et bien­veillant qui lui parle mais « qui sait se taire quand il faut ».
A par­tir de là, Sol­lers peut se livrer à des digres­sions intem­pes­tives avec la fan­tai­sie qu’on lui connaît. Se croisent Coper­nic, Mon­taigne, Spi­noza et bien d’autres encore qui donnent des coups déci­sifs aux manières d’envisager le monde. L’auteur s’amuse, se moque de lui. Mais sait aussi prendre des virages ser­rés pour quit­ter réfé­rences et déam­bu­la­tions livresques afin de glis­ser, après diverses saillies, vers des admi­ra­tions plus lit­té­rales pour évo­quer comme il se doit la Seine, la Garonne et bien sûr Venise. Celle des marins mais sur­tout des esthètes de tout genre.

Manière pour l’auteur de rap­pe­ler que — en dépit de ses doutes — une cer­taine béa­ti­tude garde tout son sens. Même ou parce que Sol­lers sent l’arrivée du temps où il s’agit de se pré­pa­rer « à être savouré par le néant ». Car si « Dieu est ita­lien », l’appel d’air passe par d’autres voies que celles des béa­ti­tudes éter­nelles. Sinon celles de l’art, de la musique et de la littérature ?

jean-paul gavard-perret

Phi­lippe Sol­lers,  Centre,  Gal­li­mard, coll. Blanche,Paris, 2018, 128 p. — 12,50 €.

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