Le critique et son modèle – absence de l’absence
François Xavier grâce à son essai met l’accent sur un peintre qui, ne se soumettant jamais à une doxa, sait retenir entre autres le passage de la lune et de l’ombre. La sensorialité sous-jacente fait apparaître des cieux étranges. Mais néanmoins les lignes de lumières qui cernent le nocturne échappent à la figuration dans une nouvelle version de l’abstraction lyrique.
Il est certain qu’une telle œuvre dans son apparente absence de rapport précis au visible cartographié renvoie à des paysages intérieurs où l’inconscient semble pouvoir exprimer sa force de cruauté. De telles coulées n’ont rien d’oniriques même. C’est bien le tangible qui prend une nouvelle valeur. Métaphoriquement, l’artiste revisite la Melencolia de Dürer pour offrir une puissance plastique faite de coulées impulsives d’étendues et de reliefs aussi telluriques qu’aériens.
L’auteur multiplie — trop peut-être — les références afin d’illustrer l’œuvre de celui qui « rêve les yeux ouverts » et se vante d’apparemment fainéanter dans un verger normand ou sur les rochers d’une côte de la Corse. Mais Xavier sait illustrer l’ouverture de champ que propose une telle œuvre. Le peintre ne cesse d’étaler, croiser, biffer, reprendre jusqu’à la sélection d’un point de vue où la notion même de « chaos » que pointe l’auteur change de sens.
Dans la conception de Baltazar, l’image ne peut être qu’une séparation de toute figuration. La peinture est rupture ou n’est pas. Détrôner les objets en faveur de ce qui les sépare est insuffisant. Si bien que la phrase de Beckett : “pour moi c’est préférer Bonnard blanc à blanc Bonnard. Assez” convient parfaitement au peintre. Mais Xavier insiste sur le fait qu’il ne faut pas pour autant parler à propos de Baltazar de crise de la figuration. D’autant que celui-ci ose un certain « wagnérisme » tout en faisant sortir tout décor de la peinture.
Quoique grand connaisseur de la peinture classique, Baltazar la délaisse au profit un travail où se manifeste l’âtre de l’être à vif et veuf de lieux, là où se nouent lumière et obscurité entre harmonie et violence et en ce qui apparaît comme une peinture “formlessness” qui ramène sans doute à une solitude irrévocable. Bref, Baltazar reste à la recherche d’une peinture de l’introuvable : celle qui ouvre sur un vide illimité, hors figuration, sur un fond perdu, un lieu ou une scène primitive que tous les peintres dignes de ce nom essaient de retrouver.
Refusant toute peinture qui aurait pu, de près ou de loin, suggérer une figuration abusive, Baltazar opte pour celle dont les possibilités — ou les impossibilités — d’expression tendent à suggérer cette forme de chaos. Car ce que recherche l’artiste dans l’imaginaire pictural reste ce que Xavier met en évidence : la puissance paradoxale à creuser le monde dans une paradoxale expansion. Elle demeure aux antipodes du motif mais non de l’émotif. Dans la plénitude lacunaire des formes émergent une accession à la réalité du rien et à la forme la plus accomplie du chaos.
jean-paul gavard-perret
François Xavier, Elégie du chaos – Dialogue avec Julius Baltazar, Editions du Littéraire et l’Atelier des Artistes, coll. « La bibliothèque d’Alexandrie », Paris, mars 2018, 180 p. — 20,00 €