Jacques Roubaud, Peut-être ou La Nuit de dimanche (Brouillon de prose). Autobiographie romanesque

Le pacte men­teur de l’autobiographie

Roubaud finit par oser une por­tion d’autobiographie après l’échec pre­mier trans­formé en auto­bio­gra­phie de cet échec ( raconté dans Le grand incen­die de Londres). Il s’ouvre sur un qua­train de Galaup de Chas­teuil : « Je suis je ne suis plus je chan­ge­rai mon estre/ Cepen­dant je seray sans qu’à jamais je soys / Ce que je fus icy mais non ce que j’estoys/ Sem­blable me pou­vant dis­sem­blable cognoistre ».
Comme lui, le poète de notre temps invente des choses de sa vie et prouve que le bio­graphe se doit liberté et désin­vol­ture par rap­port à la vérité de sa vie (qui dans un tel genre ne cesse de chan­ger). Il connaît donc l’écueil d’une forme for­cé­ment floue.

La force de la poé­sie est pour lui de ne pas faire de la bio­gra­phie : elle a mieux à faire. Se racon­ter elle-même. Si bien que, pour l’auteur, le titre de chaque livre est sa seule auto­bio­gra­phie car immé­dia­te­ment la vérité bouge. Et le texte bas­cule « dans le faux » en une suite de varia­tions.
Scep­tique sur tout et sur­tout au sujet rêve qui n’existe que dans son récit éveillé, l’auteur tombe dans l’invention jusqu’à abor­der par son écri­ture sinon du roman du moins du roma­nesque, en 23 cha­pitres, en cinq modes de police de carac­tères, de cou­leurs (qui n’apparaît pas ici) et de types nar­ra­tifs. Tout s’écrit depuis une forme étrange et étran­gère même si le poète a tou­jours tourné autour de plus en plus étran­ger à lui-même et dans une dis­tance (celle du temps passé) qui le rend plus jeune.

Il rap­pelle que tout texte lit­té­raire est en quête de son « nom propre » (cha­pitre 3) : mais il demeure incer­tain. Tout reste hypo­thèse et « opé­ra­tion » aussi mathé­ma­tique que médi­cale. Au moment où sa « mémoire n’est plus qu’un sou­ve­nir » de plus en plus incer­tain, l’auteur reven­dique une « irres­pon­sa­bi­lité brouillonne » qui néan­moins per­met d’approcher un secret dont la révé­la­tion est d’autant plus sûre lorsqu’elle paraît dou­teuse.
L’« Auto­bio­graphe » est donc un roman presque vrai dont la « prose incon­grue » prouve sim­ple­ment que “Ce qui dépend du futur anté­rieur, c’est par exemple la convic­tion que l’on a que le soleil se lèvera demain.”

jean-paul gavard-perret

Jacques Rou­baud, Peut-être ou La Nuit de dimanche (Brouillon de prose). Auto­bio­gra­phie roma­nesque, Le Seuil, « La Librai­rie du XXIe siècle », 2018, 192 p. — 20,00 €.

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