C’est parce qu’il était en dépression suite à une histoire d’amour (elles finissent mal en général) que Martin Kellerman a entrepris de raconter son quotidien sous forme de strips. Ils mettent en scène deux chiens (plus quelques improbables oiselles et une ménagerie où l’animal rit ) en guise de portraits de lui et de ses copains. Fritz le chat de Crumb est devenu canin. Il est moins poussé sur le sexe que son modèle félin (quoi que…). Ce qui n’enlève rien à l’humour grinçant d’une narration de l’existence de banlieusards dont le Stockholm ressemble à toutes les villes du monde.
Dès le début du XXIème siècle l’auteur, grâce à Rocky, devient une star dans son pays. Mais il perd pieds dans les sentiers de sa gloire jusqu’à réussir ce que fait le mieux son héros : tout rater. Il a la vocation pour cela. Néanmoins, après le double échec (de la version théâtrale et filmique de Rocky) il a repris sa bande dessinée. Elle n’est jamais aussi bonne que lorsque son auteur est au plus bas. Il y a en lui du Silvia Plath sur le mode masculin, graphique et bien sûr comique (ce qui manque le plus au livre arbitre de Silvia…)
Il existe bien sûr parfois quelques difficultés à lire une B.D. si typiquement suédoise. Néanmoins, Aude Pasquier a su faire passer ce qui était pratiquement intraduisible. Si bien que ce gros livre (il se termine par un judicieux glossaire) est d’un plaisir constant.
La vie va comme elle peut là où les jeunes ne sont pas plus indignes que celles et ceux qui les ont mis sur terre sans rien leur demander. L’album prouve aussi que la Suède n’est pas uniquement la patrie de Bergman et d’auteurs plus ou moins tragiques qui écrivent mieux mais dessinent moins bien que Kellerman. Sa neurasthénie offre des merveilles de drôlerie. Ne boudons pas un tel plaisir.
jean-paul gavard-perret
Martin Kellerman, Rocky, traduit du suédois par Aude Pasquier, Editions Huber, Pau, 2018, 260 p..