Sheila Fitzpatrick, Dans l’équipe de Staline. De si bons camarades

Staline et ses suppôts

C’est une vision renou­ve­lée et fort inté­res­sante sur le fonc­tion­ne­ment de l’Etat sovié­tique que pro­pose la très dense étude de Sheila Fitz­pa­trick à pro­pos de l’équipe qui entoura Sta­line jusqu’à sa mort et qui assura la déli­cate tran­si­tion per­met­tant à l’URSS de sur­vivre après la dis­pa­ri­tion du Vojd. Sans nier le pou­voir dic­ta­to­rial et tyran­nique qu’il exerça, l’historienne amé­ri­caine met en lumière le rôle que les grands hié­rarques du régime sovié­tique jouèrent autour et avec lui.
Com­po­sée de bol­ché­viks convain­cus et fidèles à leur maître, cette équipe se recru­tait au sein du vivier pro­lé­taire et russe (avec une forte com­po­sante géor­gienne), ce qui la dif­fé­ren­cie net­te­ment du groupe autour de Trotski, beau­coup plus intel­lec­tuel et cos­mo­po­lite ; ce qui conduit l’auteur à par­ler de « ploucs qui n’avaient jamais vécu en Europe et ne par­laient pas d’autres langues ». Tous mar­qués par les années de guerre civile, ses membres tra­vaillaient avec achar­ne­ment pour impo­ser les direc­tives de Sta­line qui les réunis­sait en groupe ou indi­vi­duel­le­ment, au Krem­lin ou dans sa dat­cha, pour trai­ter des affaires d’Etat ou autour d’une bonne table. Tra­vail en équipe certes mais sous la direc­tion de Sta­line qui déci­dait de l’identité des heu­reux élus.

Au sein de ce groupe, la per­son­na­lité de Molo­tov, chef du gou­ver­ne­ment puis ministre des Affaires étran­gères, émer­gea très vite. Bour­reau de tra­vail, méti­cu­leux, raide, maître de lui et d’une fidé­lité à toute épreuve, le « vice-capitaine » finit par rem­pla­cer Lit­vi­nov – qui n’appartint jamais au cercle car trop cos­mo­po­lite – à la tête de la diplo­ma­tie sovié­tique en 1939 pour pré­pa­rer le pacte avec Hit­ler. Un homme fas­ci­nant dont on attend tou­jours une bio­gra­phie en fran­çais.
Elé­ment bien mis en lumière, la force de la cohé­sion au sein de ce groupe. Tous appli­quèrent avec zèle la mise en place des Grandes Purges qui décima le Parti et les admi­nis­tra­tions minis­té­rielles, n’épargnant per­sonne, pas même leur entou­rage, ni  d’ailleurs celui de Sta­line qui savait que son auto­rité sur l’équipe était à ce prix. Pen­dant la guerre, la cohé­sion s’approfondit encore, condui­sant à une sorte de direc­tion col­lec­tive du pays coha­bi­tant avec la dic­ta­ture de Staline.

Pour autant, le Géor­gien n’entendait pas lais­ser des têtes le dépas­ser. Sitôt la guerre ache­vée, il se lança dans une offen­sive contre le fidèle mais trop voyant Molo­tov, dans l’ambiance délé­tère d’un anti­sé­mi­tisme viru­lent. Or, face à la purge en ges­ta­tion, l’équipe fit bloc contre le tyran vieillis­sant, sans doute avec le sen­ti­ment qu’en sau­vant Molo­tov elle se sau­vait elle-même.
Cet esprit col­lé­gial né dans les der­nières années du régime sta­li­nien sur­vé­cut, selon l’auteur, à ma mort de Sta­line et fonc­tionna contre Beria, jusqu’à ce que Khroucht­chev tînt soli­de­ment en main les rênes du pouvoir.

Bref, une plon­gée au cœur du pou­voir sovié­tique, avec des por­traits bien fice­lés et une mise en pers­pec­tive originale.

fre­de­ric le moal

Sheila Fitz­pa­trick, Dans l’équipe de Sta­line. De si bons cama­rades, Per­rin, jan­vier 2018, 445 p. - 25,00 €.

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