L’illusion créée par Claire Liengme fait écho au leurre d’un système intenable fondé sur la vie à crédit. Le langage plastique devient une lame de fond face aux surfaces incolores du monde. Parfois, l’artiste réintroduit de manière parcimonieuse une présence humaine : une lumière filtre d’une fenêtre. Mais la beauté n’a rien de lisse. Elle renvoie à une série d’ambiguïtés soulignées tant par les sujets que ses formes. On y voit s’écouler les heures et les jours. Et tout ce qu’il en reste en des fragments d’histoires à recomposer.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La première personne que je vais croiser dans la rue, l’oiseau qui se posera sur ma tablette de fenêtre, la tuile que je vais trouver cassée sur le trottoir ou qui va peut-être me tomber sur la tête. Bien sûr aussi, mon amour.
Que sont devenus vos rêves d’enfants ?
Je me souviens rarement de mes rêves, mais j’imagine qu’ils étaient liés à l’envie de voler. Aujourd’hui, je sais que je ne vole pas, mais j’ai appris à marcher.
A quoi avez-vous renoncé ?
Au confort très dangereux de l’isolement.
D’où venez-vous ?
D’une ville où l’on ne peut entrer que par des tunnels.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Une grande forme physique
Un petit plaisir – quotidien ou non ?
De prendre place, chaque jeudi, dans le plus petit cinéma de Suisse.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Ma manière de douter de moi, sans cesse.
Comment définiriez-vous votre approche du montage ?
Entrer dans un désert, puis gravir une ou plusieurs montagnes. Pour faire court, une grande aventure.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Une affiche très grande, dans l’appartement d’un couple qui me gardait parfois dans ma petite enfance, et qui représentait le visage d’un homme qui en imposait, avec des cheveux noirs mi-longs et quelque chose sur la tête.
Et votre première lecture ?
Le premier livre qui m’interpella fut « Zazie dans le métro ». Je me souviens de l’incipit : « Doukipudonktan ? » et de la dernière phrase : « J’ai vieilli ».
Quelles musiques écoutez-vous ?
Tant de musiques. La dernière à m’obséder fut celle de Moondog, l’avant-dernière fut la voix de Jeanne Aded.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Œuvres », d’Edouard Levé
Quel film vous fait pleurer ?
Un film qui ôterait tout espoir de liberté pourrait me faire pleurer.
Quand vous vous regardez dans un miroir, qui voyez-vous ?
Je vois la seule personne qu’il ne me sera jamais possible de croiser dans la rue.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A personne. Par contre, le téléphone…
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Berlin, où j’ai vécu quelque temps, et qui ressemble par beaucoup de côtés, à ce que j’imaginais.
Je citerais également l’art, qui reste pour moi le seul espace de liberté possible (je ne parle pas du monde de l’art).
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?µ
Il y a beaucoup d’humains qui me parlent, et de loin pas que des artistes ou des écrivains. Le dernier qui m’a heureusement surprise est anthropologue, et il s’appelle David Graeber.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Pas grand chose, car je ne suis pas en mesure, ces temps-ci, d’offrir quoi que ce soit en contrepartie.
Que défendez-vous ?
Le droit au silence.
Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour, c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ? »
Depuis la nuit des temps, l’humain cherche à définir l’Amour. Et l’Amour, qu’en pense-t-il ? Peut-être devrions-nous nous adresser à lui ou à elle directement.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui, mais quelle était la question ? »
Ces temps-ci, Woody Allen répond fermement que « non », et il ne demande plus quelle était la question.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Quel jour je vis, et que vois-je depuis ma fenêtre ?
Entretien réalisé par jean-paul gavard-perret pour lleitteraire.com le 24 mars 2018.