Georges Didi-Huberman rassemble une suite de fragments. Ils peuvent laisser croire à une sorte de récréation (réparatrice ?) par rapport à ses livres de réflexion sur l’image. Ce dont ils parlent ici semblent d’autres images. Plus passantes mais néanmoins rémanentes et féminines à l’image de la Béatrice de Dante, de la Laura de Pétrarque, la « nymphe » d’Aby Warburg, la Gradiva de Jensen et de Freud et bien sûr et surtout la « passante » anonyme de Baudelaire.
Ces « Aperçues » voire entraperçues déclenchent chez l’auteur des impressions que l’auteur se contente de décrire mais qu’il pousse parfois plus loin jusqu’à créer une sorte d’autoportrait en miette en une poétique (parfois ou souvent érotique) du regard sans souci d’une organisation véritablement fléchée.
Le temps va, revient, demeure ou s’estompe jusqu’à ce qu’un incident de « parcours » fasse remonter de « vieilles images » chères à Beckett dont la lumière saisit à l’improviste. Le dissident de l’écriture des images mélange ici bien des femmes. Mais en ce portrait au masculin, la première d’entre elles garde une position majeure avant qu’arrive l’autre amour, la « remplaçante » idéale. Ce qui n’empêche pas – bien au contraire – de faire la part belle ou du feu aux « aperçues », aux fugitives, aux occasions ratées, et à toutes les « lucioles » (chères à l’auteur) qui finalement vont disparaître ou sont sur le point de l’être. Elles « grattent » néanmoins là encore où ça fait mal, faute de caresser où ça fait du bien.
Dans ce qui paraît dans la biographie comme un moment d’égarement, il se peut bien que Didi-Huberman remonte à la source des images. Histoire de mettre au passage les points sur les « i » en rappelant ses modèles (Pasolini, Bataille, Eisenstein) et des contre-modèles (Rancière, Lanzmann). Existe enfin et surtout le plus touchant (déjà évoquée plus haut) : l’enfant privé de sa mère sans pouvoir en faire le deuil.
D’une certaine manière, elle le poursuit mais fait plus : elle hante son travail. Elle reste l’instigatrice occulte de bien des recherches et des traces. En conséquence, ce livre de cueillettes est surtout celui du recueillement et des hommages. Sous le foisonnement demeure « l’image-mère » celle qui demeure « là, et non pas au-delà ».
Elle donne l’énergie au regard au nom d’une évidence que l’auteur rappelle : « En apercevant l’image le regardeur tombe dans un trou. » Preuve que tout « Hors-la » n’existe pas. Ou mal. Ou si peu.
jean-paul gavard-perret
Georges Didi-Huberman, Aperçues, Editions de Minuit, 2018, 352 p. –27,00 € .