Une première mise au point s’impose pour le lecteur qui ici se méprendrait : certes intitulé John Coltrane dans son titre principal, cet essai ne constitue pas un énième opus sur la vie de Coltrane mais une sorte de portrait biaisé (via les propos du célèbre saxophoniste (1926 – 1967) mais aussi les nombreuses citations d’autres musiciens) de cet art mutant qu’est le jazz. Mâtiné de pléthore de zests de phénoménologie (pour l’essentiel empruntée à Michel Henry), l’ensemble par ailleurs assez littéraire forme un coktail aussi baroque qu’explosif. Il n’est pas exclu que ce curieux ouvrage, bardé de sous-titres qui pourraient se révéler inquiétants (“Esquisses d’une philosophie imaginaire”. “Essai pour une phénoménologie du jazz”) n’atteigne pas pleinement son objet du coup, et l’auteur s’en amuse (?) lui-même dans le conte final valant comme epilogue où c’est surtout l’incandescence musicale qui se touve célébrée… Pas sûr donc que l’amateur éclairé ou le néophyte en apprenne plus sur Coltrane, « musicien philosophe » en ces pages (quoique les premières mentions de l’intérêt de Coltrane – il lisait notamment l’ouvrage de Ayer : Language, Thruth, Logic — pour la finalité qu’incarnerait la philosophie soient assez stimulantes) ; il s’agit bien plutôt pour Michel Arcens de se laiser aller – c’est le mot – à une méditation “imaginaire” quant aux points d’imbrication entre jazz, littérature, vie (sous le soleil de l’improvisation renouvelée) et philosophie. Cette approche éclatée confère d’emblée sa limite au propos, dont la scansion, à la différence par exemple de la première version lancinante d’Africa en 1979 par Coltrane, paraît assez vite plus répétitive qu’évolutive, l’auteur s’échinant à commenter des commentaires pour en produire un palimpseste idéal qui confine vite à la gratuité pure et simple. Voir et entendre Coltrane jouer “Naima” Les références proposées et auteurs mis en avant sont toujours intéressants pourtant, et l’écriture de M. Arcens, fort plaisante, génère ce doux flottement de ce qui s’énonce sans souci dialectique de l’objection : on observera ainsi la curieuse insistance de l’auteur à séparer le sulfureux jazz, sans frontières, de la conceptualisation théorétique, à prétention absolue, tout en ne cessant de vouloir réfléchir (à) cet art de “l’engagement” et du feeling tout du long de cet essai. L’opposition aux « intellectuels du jazz », toute recevable qu’elle soit, semble alors faire écran à l’intention même de celui qui la produit céans. C’est que l’auteur ne cesse d’affirmer, criant à l’évidence la plus haute, quand il s’agirait surtout de (se) justifier davantage. Que faire, il est vrai, face à une affirmation du type : « En jouant ce que l’on sent et ce que l’on « entend », on est soi-même, et par conséquent, il ne peut y avoir là le moindre malentendu. On ne peut se tromper en étant soi. »(p. 58). Euh, si vous le dites, mais encore ?
frederic grolleau Michel Arcens, John Coltrane, La musique sans raison — Esquisses d’une philosophie imaginaire. Essai pour une phénoménologie du jazz, Alter Ego Editions, octobre 2012, 220 p. - 17, 00 € |