Créée par Stéphane Million, Bordel est une revue qui est aventure, fédération d’énergies, moteur de rencontres
Si,si ! Bordel est bien un nom de revue. Une revue qui publiait récemment son second numéro ; une revue qui est aventure, rêve ambitieux, fédération d’énergies, moteur de rencontres… Lou Grézillier a rencontré le fondateur de Bordel, Stéphane Million — l’occasion pour elle d’en apprendre un peu plus sur l’homme et sa création…et de nous en faire profiter.
Stéphane Million est un fédérateur d’énergies, un guide de plumes contemporaines qu’il rassemble pour la deuxième fois dans le recueil Bordel. Le nom de Frédéric Beigbeder revient plus souvent que le sien dans la critique, il le sait. Pas amer le garçon, il accepte l’ombre qui se réduit pourtant de jour en jour. Car son travail sur le web fait parler, son discours bien à lui aussi. Bordel est un condensé de son caractère, de ses coups de gueule, de ses allocutions charmantes, ça donne idée du personnage.
L’aventure Bordel est un moteur de rencontres inoubliables, ces rencontres qu’on ne peut pas éluder ensuite. Les destinées se croisent, les écritures aussi, différents styles s’associent pour créer une œuvre, bordélique il est vrai, sans doute délibérément. Il est alors difficile de passer sa route et de revendiquer l’éphémère. Ce qui fonctionne, il faut le garder, le faire travailler encore et encore, la poésie n’en sera que plus belle. Retrouver les littératures bien connues de Bordel 1 était donc une nécessité. Se souvenir des tout premiers aussi qui étaient là à la genèse du projet, bien avant la rencontre avec Frédéric Beigbeder, bien avant le site, bien avant la publication chez Flammarion. Thomas Bouvatier, Régis Clinquart, Bénedicte Martin, Yann Moix, Valérie Tong Cuong, il fallait qu’ils soient là. Et puis il y a ces autres rencontres, dues au hasard. Stéphane Million a donc un problème, un vrai : les nouvelles recrues s’ajoutent aux vieilles connaissances, il ne sait plus où diriger son attention, ne sait plus qui préférer. Il voudrait les avoir tous, là, près de lui, surtout n’oublier personne, ne taire aucun talent.
Ça va devenir vraiment délicat de faire un sommaire dans quelques numéros — ou alors il faudra sortir un gros truc de 600 pages !
L’identité rock que Stéphane Million veut donner au second numéro doit forcément se révéler avec Patrick Eudeline. Et puis il y a Virginie Despentes à faire écrire, absolument. Tous ces autres aussi, dont la présence, après la rencontre, devient une pure nécessité. Certains, croisés dans quelques fêtes arrosées, d’autres amenés là par une courageuse proposition spontanée, le talent fait le reste. Plus conventionnel mais non moins excitant : Bernie Bonvoisin, dans le bureau de “Fred”. Million a les mains moites, il est fan de Trust, adore Les Démons de Jésus, est intrigué par le dernier livre de l’auteur qu’il trouve étrange et lyrique. Bonvoisin accepte, un rêve. Anna Rozen reste une énigme, Million ne connaît d’elle que ses phrases. Ah si, il sait qu’elle mange dans le même japonais que lui, 108 rue du faubourg St-Martin. Peut-être s’installent-ils à la même place ? Où vont se loger le hasard et les rapprochements de talents ?
Dans Bordel, on revendique l’esprit de bande, cette notion de noyau d’amitié. Pourtant Stéphane Million a bien du mal à définir une identité commune. Selon lui Bordel doit avant tout se lire comme espace de liberté, de folie, de foutoir littéraire, d’expériences, de plaisirs… et c’est ainsi que chacun des auteurs conçoit sa participation. C’est en cela sans doute que l’on peut parler de communauté de parole et de style. Les auteurs pour la plupart ne se connaissent pas entre eux, ils communiquent pourtant. L’objet de leur dialogue tacite, ces répliques qui se renvoient d’un texte à l’autre dans un jeu de questions/réponses stylisé, se fait au travers d’une même conception désabusée du monde. Cette écriture du ventre, ce cri de rage de la nouvelle génération dont parle Million dans son édito.
Le jeune fédérateur d’idées sait que l’effet peut être ravageur. Il s’amuse de l’image cloaque brinquebalant, lupanar glauque que le titre même du recueil évoque. Il assume pourtant. Car lui, a réussi son pari. Celui de rassembler une fois encore ces écrivains de talent pour une poésie toujours plus “rock”. L’effet rendu reste l’affaire du lecteur, Stéphane Million ne veut pas s’en mêler. Ses réponses sur la réception du livre — autres que celle de la critique dont il semble obsédé dans son édito — restent évasives, folles, prolixes en considérations “bordéliques”. Tiens, tiens, ça rappelle quelque chose.…
Des nouvelles du Bordel ambiant…
Mêler les écritures pour mieux dire, réunir les auteurs pour croiser les perspectives. Sur le modèle du Bordel n° 1, des écrivains médiatisés s’unissent à d’autres, moins connus, et rassemblent leurs textes dans un recueil sauvage qui ne manque pas d’interpeller. L’œuvre est un vrai bordel en puissance, le lecteur ne sait plus où donner de l’œil et c’est avec plaisir qu’il traverse le flou éclectique des mots.
Qui a dit que Bordel n° 2 ne parlait que de sexe ? Certes le premier volume laissait présager une descendance peu recommandable. Le titre même, Bordel, se fait divinement trompeur. Et puis il y a les auteurs qui se retrouvent dans ce numéro : Virginie Despentes, Frédéric Beigbeder, Yann Moix, Bernie Bonvoisin… Avouons-le, leurs gentilles coquineries ne nous ont pas toujours laissés de marbre, nous en redemandions. Car nous les savions prolixes en grivoiseries, obscénités et autres sujets tabous. Et par curiosité nous voulions voir ce que les petits nouveaux avaient dans le ventre, ou plutôt dans le pantalon.
Mais bien loin du cri de ralliement primaire que l’on avait imaginé, les vingt-quatre écrivains de Bordel n° 2 donnent à lire une sorte de traité d’anthropologie, qui frise parfois la lamentation collective. Une même vision du monde les unit, ce regard électrique porté sur les choses où le désenchantement rivalise avec le désespoir profond. “Bordel”, c’est l’état des lieux que l’on peut dresser de nos sociétés. “Bordel”, c’est la déchéance chaotique de nos propres existences. Et dans ces ruines dévastées, le sexe n’est plus un but mais un moyen. Un média d’évasion pour fuir la conscience. Le sexe devient un appel d’air dans l’étouffante ville ; l’acte est souhaité violent, fou, entretenu par des pratiques parallèles, presque borderline, encore et encore. Une sexualité qui plus qu’aucune autre chose, dit la dégénérescence des êtres. La marche vers l’absolu et les nouveaux horizons auxquels croyaient les libertins sont aujourd’hui révolus. Les back-room ont remplacé les boudoirs en vertu de poncifs désabusés ; il est temps de ne plus croire en rien, de ne plus rien espérer.
Pourtant, le constat dépassé, nous attendions un sursaut, un rebond, une réaction simplement humaine, mais non, rien, pas d’espoir — nous n’en demandions pas tant. Lorsque dans certains textes la note finale est positive, elle semble terne, plate, loin du ressort que nous escomptions. Quant aux autres nouvelles, c’est bien le pessimisme qui domine. Le rebond n’apparaît donc pas, et loin s’en faut car les écrivains de Bordel n° 2 ne le supporteraient pas. Leur écriture se nourrit précisément de l’immobilisme, de la société qu’ils décrivent et pour laquelle ils n’espèrent aucun changement. Ils sont de leur temps, et écrivent pour leur temps, que dis-je ? pour une catégorie étroite de lecteurs de leur temps. Ceux précisément qui font la société et qui en désespèrent simultanément. D’une courte phrase, Beigbeder sait décrire son lectorat : J’ai tendance à supposer que tous les lecteurs de Bordel sont de niveau bac + 12 (ou bien connaissent l’anglais à force de mater 24 heures Chrono ou Sex and the City). Le ton est donné : le penseur veut parler à ses égaux.
Mais se repaître du triste constat ne suffit bientôt plus ; la fertilité immédiate ennuie très vite et nous aurions souhaité pouvoir dépasser, avec eux, la sombre fatalité. La littérature donne ce pouvoir aux écrivains. Les nouvellistes de Bordel n° 2, pourtant talentueux, s’entêtent à le dédaigner. Dommage.
la redaction
Collectif, revue Bordel n° 1 et 2, Flammarion, 15 €.
Au sommaire du second numéro : Patrick Eudeline, Virginie Despentes, Franck Ruzé, Frédérick Beigbeder, Yann Moix…
Pouvez vous me donner le contact ou l’adresse de Barbara Israël pour
Qu’on lui soumettre une image d’une oeuvre de Maurice Sachs, s v p ?
D’avance un grand merci
Marcel Fleiss
bonjour,
désolé, nous ne disposons pas de ce contact.
cordialement,
la rédaction